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Xaash: Un Fardeau Nécessaire

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« J'avais à peine cinq ans lorsque mon premier maître m'a prise sous son aile. Elle m'a trouvée alors que je n'étais qu'une enfant apeurée dans la jungle, apeurée de la nuit, de la faim, et surtout de moi-même... Elle m'a tendue la main, m'a ramenée chez elle à Kaas City, et m'a promise à une destinée que j'espérais depuis longtemps. C'est elle qui m'a formée, m'a élevée, a développé mon langage, autant dans les mots que dans le combat. J'ai pu apprendre tant de choses, dans les livres, dans les reliques, dans la Force, dans mon cœur, grâce au Code Sith. À ses côtés j'ai compris qui j'étais. À ses yeux, peut-être que je n'étais qu'une apprentie de plus dans sa carrière... mais j'en doute.

Jour après jour, elle m'envoyait des machines, des bestioles, des prisonniers, des acolytes, chaque fois de plus en plus coriaces, rapides et imprévisibles. Son arène de roche noire, au précipice vertigineux, se teintait un peu plus écarlate de jour en jour. À chaque victoire, un encouragement. À chaque défaite, une leçon, suivie d'une autre victoire. Elle me répétait sans cesse :

 

« Nul n'est immortel, Xaash. Rien ni personne n'est imbattable. »

 

Cela justifiait mes échecs, mais m'interdisait d'en rester là.

 

« La victoire te rend plus forte, mais l'échec aussi. La vie est faite d'obstacles. Ils sont faits pour nous ralentir, mais jamais pour nous barrer la route. Nous sommes des Sith. », me rappelait-elle constamment.

 

Elle était sage, mais aussi sévère et stricte. En dehors des leçons, j'étais livrée à moi-même. Je pouvais demander de simples choses, mais je ne devais pas user de son temps où de son argent. Elle m’hébergeait, me nourrissait, me forgeait, mais ne pouvait être aussi présente qu'une vraie mère...

 

Et puis, au bout d'un an, elle dut léguer ma garde à d'autres surveillants, d'autres entraîneurs sith. Je pense qu'elle se devait de recevoir d'autres apprentis, c'est normal.

Mais le monstre qui m'emmena ensuite ne recherchait pas une apprentie. Plutôt une esclave. Un défouloir de chair, d'os et de sang.

Je... je me remémore encore le ton de sa voix rageuse... le claquement de son fouet en cuir sur mon dos... de son fouet en barbelé sur les joues... ma seule position de défense, en boule, les bras sur la tête, lorsqu'il me battait. Les malaises... la faim... le froid... la douleur... la perte de toute confiance en moi-même.

Aller implorer pour la toute première fois de l'aide à Zash, mon premier maître, fut ma meilleure décision, vu mon état à l'époque. Puis j'ai passé d'autres années chez d'autres entraîneurs compétents, jusqu'au jour où j'étais prête pour Korriban. Le jour où Zash est venue me l'annoncer. Le jour où je suis partie planter ma lame dans le visage du monstre qui avait détruit le mien. »

 

 

Xaash se tut. Sa voix venait de fluctuer, son cœur de s'accélérer. Sa tête venait de rouler sur l'oreiller, dévoilant à la petite échanie qui l'écoutait à ses côtés, passionnée, son visage scarifié, et son air dur.

 

« Wooooh... », murmura Jahnelthra, les yeux emplis d'étoiles et d'admiration pour sa nouvelle amie. Elle était à fond.

 

Les deux jeunes élèves de l'impitoyable Korriban étaient allongées sur leurs matelas en paillasse tressée installés côte à côte dans la chambre sombre, elle-même aménagée dans le grenier secret de l'académie. Les petites lampes à huile, disposées tout autour d'elles sur les tapis brodés pourpre et or, émettaient la seule lumière orangée qui les protégeait de l'obscurité totale. Au dehors, la température chutait enfin après la période de périhélie intense, et la rude journée d'épreuve dans le sable et le sang chaud. Les acolytes rentraient affronter les beuglements et vociférations de leurs surveillants, Horuset plongeait dans l'horizon escarpé, et Xaash et Jahnelthra reposaient, leurs têtes contre la bibliothèque sculptée, bien confortables et à l’abri de tout danger.

Cela faisait une semaine que l'échanie, âgée de 13 ans, venait de sauver la vie à sa comparse humaine de 16 ans, après leur premier clash, en pleine chaleur infernale. Tout à fait rétablie de sa déshydratation, Xaash s'était d'abord refusée à venir visiter l'étrange chaton dans sa cachette certes secrète et abandonnée, mais probablement pas moins illégale. Cependant, stratégiquement, l'échanie avait raison. Nul ne pourrait venir l'assassiner pendant son sommeil ici... Nul autre que Jahnelthra tout au moins.

La curiosité. Oui, voilà un autre détail étrange qui l'avait poussée à tenir sa part du marché. Xaash était curieuse de nature. Méfiante avant tout, mais curieuse du chaton de Korriban. Ainsi, elle laissait progressivement sa main plonger dans les sables mouvants de cette chose étrange qui serait plus tard l'amitié, tout en prenant garde à ne pas trop s'ouvrir. Car si c'était une ruse de son adversaire, elle était solide.

 

« Mais alors... Qui t'as recousu le visage ? », demanda Jahnelthra, entre passion et horreur, meurtrie par le suspense. Au faux sourire en coin que produisit sa voisine, l'échanie compris à quel point elle était forte et indépendante. C'est sûr, si un expert s'en était chargé, avec le matériel adéquat et du kolto, il n'y aurait presque pas eu de séquelles visibles aujourd'hui, mais une gamine de six ans... seule... L'idée lui fit serrer les yeux et les dents.

 

« Tu sais... moi je trouve pas qu'il t'a détruit quoi que ce soit. C'est vrai, t'es plutôt mignonne... Dans ma culture, les cicatrices sont la preuve d'une force pure, d'un combat sans merci, d'une souffrance digne... »

 

« Il n'y a rien de digne à se faire traiter de la sorte, à un tel âge. », coupa Xaash, sèche.

 

« Excuse-moi. Tu as raison... Mais tu es toujours en vie, non ? Tu as survécu à ce monstre, et tu es devenue plus forte. Je me trompe ? »

 

« Tu parles déjà comme une sith, petit chaton ? », remarqua l'humaine.

 

« Non. C'est vrai dans ma culture aussi. Les Échanis vivent pour se battre. Les cicatrices et la souffrance sont des choses naturelles. J'ai aussi vécu un enfer, avant de te rencontrer. Un enfer qui m'a retenue pour si longtemps dans un seul but. Me rendre plus forte, pour m'échapper, pour tuer... »

 

« Un genre d'académie junior sur Kaas ou un truc du genre ? », demanda Xaash en se retournant vers le plafond.

 

« Un truc du genre... »

 

La petite Jahnelthra retint un petit sourire et redirigea son regard vers sa colocataire. Même au repos, un corps en dit tant... Elle pouvait lire en Xaash. Sa pose assez rigide, ses bras parallèles à son corps, son regard jamais loin. Son visage semblait assez opaque aux émotions, mais sa position peu confortable trahissait son manque de confiance. Si seulement elle pouvait lui prouver ses intentions pacifiques...

 

« Et... avant cette Zash... t'avais de la famille, des parents... ? »

 

Et alors, le visage opaque se brisa. Comme sortant d'une transe relaxante, ses lèvres s'entrouvrirent, ses sourcils se crispèrent, et en plongeant ses beaux yeux verts perturbés dans les iris blancs et curieux de Jahnelthra, l'échanie sut qu'elle venait de commettre une erreur.

 

« ...M-Mes par... Comment t... ? », bégaya la jeune femme, comme tout juste éveillée au beau milieu d'une guerre.

 

Et puis, son regard se posa vers sa main gauche. Celle de Jahnelthra se reposait dessus, chaude, calme, aimante... Xaash n'avait rien senti, avant de l'apercevoir. Elle retira sa main comme du feu, et foudroya l'échanie.

 

« Qu'est-ce que tu viens de faire !? », grogna-t-elle en se levant. « Depuis combien de temps as-tu... ? »

 

« J'ai rien fait, je le jure !... », implora la petite fille, pourtant coupable. Son expression demandait bien trop le pardon.

 

« Pourquoi est-ce que tu m'étudies comme ça, hein !? Pourquoi je parle quand tu demandes !? Quel sort est-ce qu... ? »

La sith s'arrêta dans son élan de colère. Elle venait de comprendre. Cette gamine se servait de la Force... se servait d'elle... Elle lui avait déjà fait part de ses étranges capacités mentales. Elle était quoi à ses yeux ? Un cobaye !?

Elle attrapa ses affaires en levant simplement le bras, et se prépara à sortir.

 

« Reste ! Xaash ! Je t'en supplie ! Je voulais pas... Je suis désolée !... », tenta l'enfant comme si sa propre mère l'abandonnait dans le noir.

 

Mais la sith pâle ne voulait rien entendre. Elle s'accroupit, ouvrit la lourde trappe en pierre au sol, et lança son regard dévastateur une fois de plus vers celle qui ressemblait beaucoup trop à une rivale pour gagner sa confiance.

 

« Touche-moi, une fois de plus... Pose-moi une seule autre question... Défie ma rage une dernière fois... et tu le regretteras. », avertit-elle, se retenant de ne pas la refroidir tout de suite.

L'échanie tenta à peine de prononcer le début d'un 'Mais...', et sa nuque, comme pincée par un insecte invisible d'une force colossale, la fit tomber à quatre pattes, crispée de douleur sans même avoir la force de hurler. Elle regarda d'en biais son invitée sauter du grenier par la trappe, puis des larmes vinrent troubler sa vue avant d'humidifier la roche cendrée sur laquelle reposait sa joue tiède.

 

 

 

 

 

Une semaine plus tard....

 

 

« Esclaves ! Bandes d'incompétents ! Écoutez-moi bien... »

 

Les doux compliments du surveillant à la barbichette épique résonnaient dans la salle de l'académie comme le chant d'un gros navire de croisière ayant perdu les commandes lors de l'accostage. Plus efficace qu'un stim de guerre pour se réveiller le matin, sa voix chantonnait les ordres de la mission du jour, sous le silence fatigué de ses huit collègues surveillants, dont Tremel.

Toutes les classes des quatre années étaient confondues pour cette épreuve, du moins ce qu'il en restait. Le troupeau bicolore d'acolytes – noir pour les aînés, pourpre pour les tout nouveaux – attendait les consignes. Le nombre demeurait assez équilibré, car pour combler les pertes quotidiennes d'élèves, de nouveaux arrivants gagnaient le droit de prendre leur place. Au milieu de la petite foule très attentive, Xaash tendait l'oreille, tout en surveillant bien ses prochains rivaux.

 

« Nos exigences sont claires comme de l'eau de roche. Ceux qui ne reviendront pas de cette épreuve au crépuscule pourriront à jamais dans les tombeaux ou seront chassés de l'Académie. Le premier à franchir le seuil de cette salle victorieux aura les honneurs, … et les compliments de mes collègues. Surveillante Ragate, si vous voulez bien poursuivre... »

 

Un peu plus loin dans la foule, à droite de Xaash, une silhouette se démarqua de par sa longue et belle coiffure éblouissante. La jeune sith plissa les yeux et serra poings et narines. Jahnelthra était là, vêtue de rouge, lame d'entraînement sur le dos, prête pour sa formation de sith. Ainsi, elle avait réussi à repartir à zéro... comme promis. Le petit chaton s'était faufilé dans l'esprit des surveillants, et était parvenue à dissoudre l'ancienne Jahnelthra, pour la faire revenir parmi les première année. Cette petite tricheuse allait probablement sauter deux années d'ici peu, au vu de son expérience déjà acquise depuis deux ans, et de ses petits tours mesquins. Pour revenir où elle en était, mais cette fois avec les félicitations des maîtres qui n'y auront vu que du feu. Quoi qu'il en soit, l'échanie n'était plus son problème. Elle n'avait qu'à mourir ici, comme les autres.

 

« Merci, surveillant Harkun... Donc, les règles... oui... », commença la vieille femme en se détachant du groupe d'adultes. « Il y a un artefact assez... unique, qui repose depuis des générations dans le tombeau de Ludo Kressh. Cette épreuve est une course archéologique. Celui, ou celle, qui nous rapportera l'artefact aura les compliments de tous les surveillants. Comme il n'y a qu'un artefact, les autres qui rentreront les mains vides, mais qui seront tout de même allé jusqu'au cœur du tombeau, pourront rester. Ceux qui rentreront en voulant nous duper... eh bien, mourront. Le départ a lieu dans une minute... Oh ! Et, bien sûr... le meurtre est encouragé. Merci à vous ! »

 

La foule se dispersa. Xaash attendit que le regard de l'échanie croise le sien, puis la fixa sévèrement. Mais la petite chose lui rendit un air qui ne signifiait qu'une chose. Un regard confiant, plein de défi, celui d'une rivale aimante, mais déterminée. L'humaine ne s'y attendait pas. Les dés étaient lancés, une fois de plus. L'artefact mystère était destiné à la meilleure élève de Korriban, et Jahnelthra, tigresse des neiges, n'allait pas lui laisser cette chance.

 

Que la partie commence, à nouveau.

 

 

 

 

 

À cet âge, Xaash était déjà bien plus agile, rapide, précise et tactique au maniement du sabre laser que tous les autres élèves sur la planète... bientôt, elle surpasserait même la plupart des enseignants. Son élégance, sa grâce, sa fluidité, ses moindres faits et gestes lors d'un combat étaient impossibles à parer, à éviter ou à deviner. Telle une chorégraphie, apprise et répétée des milliers de fois à l'avance, sa danse tourbillonnante tranchait dans les foules, ne s'arrêtant que rarement pour croiser véritablement le fer, ou le plasma. Le petit nombre d'acolytes qui avait survécu à ce spectacle, d'une distance suffisamment lointaine, sans prendre part au massacre, la croyait tout simplement imbattable. Mais, comme la jeune sith avait appris il y a longtemps...

Rien ni personne ne l'est vraiment.

 

Une série de petits pas rapides, une douce charge, un chuintement. Une tête tombe. Les autres se retournent, analysent et comprennent. Leurs entrailles pendent déjà. Le dernier du groupe écarquille les yeux, serre les dents et dégaine. Sa main droite, sa gorge ainsi que sa colonne vertébrale sont sectionnées, et son cadavre tombe au sol lorsque les pas sont déjà loin. Rien ne l’arrêtera. La première place est à elle, et à elle seule.

 

Un cri retentit, un éclair est dévié, quatre autres cadavres tâchent la roche sablée et viendront nourrir les k'lors. Ce sont eux qui sont partis en courant au début de l'épreuve. Elle doit être en tête désormais.

 

Un fin rugissement interrompu, un cartilage fendu, un crâne écrasé sous sa botte et un autre, contre un pilier à cinquante mètres. Les bestioles du tombeau ne peuvent rien faire. Les escaliers descendent, de plus en plus raides. Elle y est presque.

 

Elle saute les trente dernières marches, et soulève la poussière tout en bas. Se redressant lentement, elle jette un œil à l’architecture intéressante sans retirer sa petite capuche. La salle sombre et circulaire aux larges colonnes rouges n'a pas vu de vie depuis des lustres, semble-t-il. Son plancher légèrement creusé est recouvert d'une boue noire, visqueuse, probablement inflammable... Les quelques toiles dans les coins ne retiennent que de la poussière. Les murs gravés de toute part, semblent raconter l'histoire de Kressh et de Sadow.

En son centre, un autel repose. Xaash n'attend guère plus longtemps. Elle s'avance sans crainte... mais ralentit ensuite... Quelque chose ne va pas... Un problème qu'elle n'avait pas vu venir, qu'elle n'avait même pas imaginé possible...

 

Où... où est l'artefact ?

 

L'enfant sith s'agite. Il doit être tout proche, quelque part au sol peut-être ? Rien. Un insecte l'a peut-être dévoré ? Non. Il n'a pas pu aller bien loin... peut-être dans l’essence noire ? Il n'est pas là.

 

La jeune fille pose un genou à terre. L'échec l'envahit pour la première fois depuis longtemps. Pour la seconde fois sur cette planète, officieusement... Et là, elle comprend.

 

Jahnelthra.

 

Nul autre n'a pu la devancer. Personne n'est plus rapide que Xaash dans les tombeaux et personne ne peut se faufiler entre les dernières bestioles qu'elle vient de broyer... sauf peut-être un minuscule petit chaton.

La sith aux yeux verts sent la haine bouillir en elle. Sa respiration se saccade, ses poings craquent, sa propre voix s'ancre à ses poumons pour retenir le hurlement de colère qui ne la soulagerait même pas.

La petite gamine échanie, qui se prenait tantôt pour sa petite sœur, venait de la défier en tant que rivale absolue, et alors qu'elle s'en méfiait depuis le début, ça elle ne l'avait pas vu venir. Ses iris chauffèrent légèrement vers l'écarlate rien qu'en imaginant l'enfant sur sa route vers l'académie, victorieuse. Jahnelthra voulait vraiment savoir qui elle était ? Elle allait se battre jusqu'au sang et aux larmes pour le lui montrer !

Il n'y avait pas une seconde à perdre. Alors que les prochains acolytes arrivaient tout juste dans son dos, Xaash déchaîna sa colère en un rugissement, et lança son sabre laser à leur gorge.

 

 

Quelques heures plus tard, le crépuscule s'annonçait. Xaash remonta les marches de l'académie, fatiguée, les bras ballants dans le vent chargé de sable cinabre, la tête basse, capuche retirée. Elle n'avait pas croisé le chemin de l'éclatante échanie au retour, ce qui signifiait que, pour elle, elle avait perdu. Jahnelthra devait être déjà rentrée.

Pour Xaash, son objectif allait depuis le début de l'épreuve au-delà du minimum. Elle visait le maximum. Comme à chaque fois. Mais pas pour cette fois... Pénétrant dans le grand hall central du bâtiment, elle ne releva la tête que quelques secondes plus tard. A sa grande surprise, entre elle et l'obélisque de pierre gigantesque qui servait de cœur à l'académie, les surveillants se mirent peu à peu... à applaudir.

 

Sous le regard béat de l'enfant pâle, Tremel, entouré par ses collègues alignés, applaudissaient son retour. Le regard sérieux, la pose droite, chaque surveillant lui montraient son respect, même Harkun à contre-cœur.

 

« Félicitations apprentie Xaash. », s'avança son professeur. « Tu es la première arrivée. Tu mérites tous les honneurs. »

 

Mais que signifiait tout ceci ? Elle n'avait pas réussi. Où était passé le chaton ? Tout cela n'avait aucun sens !

 

« Mais... je n'ai pas récupéré l'artefact... », fit-elle remarquer timidement, dans l'embarras.

 

Au même moment, le second acolyte pénétra en courant dans l'enceinte du bâtiment. C'était Jahnelthra. Essoufflée mais regagnant vite son endurance, elle pausa une main contre une des grandes statues qui gardaient l'entrée, celle à sa droite. Elle était revenue les mains vides, elle aussi... Pourquoi ?

Peu à peu, les autres survivants arrivèrent à la ramasse dans le dos de l'échanie, et aucun ne quitta le couloir de l'entrée, de peur de passer trop près du chaton lunaire, qui venait de faire ses preuves à en juger par le sang sur ses cheveux. Xaash regardait l'animation dans son dos, perturbée par cette victoire illogique. Jahnelthra lui envoya un charmant sourire, alors que les visages interrogateurs s'agglutinaient derrière elle et cherchaient à voir celle qui les avait tous devancés. Se retournant vers son maître, elle remarqua son petit sourire.

 

« Il n'y avait pas d'artefact. », clama Tremel d'un ton un peu plus fort pour calmer la foule en arrière-plan. « Le but de cette mission était de vous faire ressentir à tous le sentiment important qu'est la déception... la défaite... le fait d'avoir été surpassé par un rival plus compétent que vous-même. »

 

Xaash entrouvrit la bouche de surprise. Ils l'avaient tous dupée. Toute cette mission n'était qu'un test mental, non pas physique. Toute cette colère qu'elle avait conservée sur le chemin du retour, toute cette haine qu'elle avait réservée à Jahnelthra, pour lui verser sa rage sur la tête comme de l'acier bouillant. Tout cela était... sans raison ? Elle était bien arrivée la première sur les lieux, après tout...

 

« La défaite n'est pas acceptable, ici, sur Korriban. Mais même les plus grands sith la rencontrent, un jour ou l'autre. Alors la laisseriez-vous vous consumer comme un termite, ou la transformeriez-vous en une vengeance, assez motivante pour vous relever et finir le travail ? »

 

Les mots de son superviseur étaient justes. Le vieil homme était doué pour la parlotte, ou bien il avait préparé ça à l'avance. Cette haine n'était pas venue à elle en vain. Elle s'en était bel et bien servie pour rentrer au plus vite. Et pourtant... elle n'était pas justifiée... Le chaton n'y était pour rien... Elle se mit à genou devant l'orateur à la peau sombre.

 

« Ceux qui sont revenus de ce long périple ce soir, avec les bottes noires d'essence, ont compris la leçon. Les autres ne sont pas allés jusqu'au bout. Aussi, ils seront exécutés. »

 

A peine ces mots prononcés que quelques élèves dans la foule prirent leurs jambes à leur cou, droit vers l'extérieur. Ils se firent instantanément mettre à terre par la paire de gardes d'honneur noirs stationnée dans le couloir.

Xaash baissa les yeux. En effet, l'épais liquide visqueux recouvrait encore ses bottes, et retenait avec lui des milliers de grains de sable. Elle sourit en coin face à l'astuce.

 

« Relève-toi. Victorieuse une fois de plus, Xaash. Félicitations. », répéta-t-il.

 

La jeune adolescente se redressa, assez soulagée. Elle fit un léger signe de tête pour le remercier, quand un petit claquement résonna dans son dos. Xaash tourna la tête. Devant la foule d'élèves, défiant le silence et le sérieux de l'événement, la petite Jahnelthra se mit à applaudir à son tour. Un large sourire aux lèvres, une passion dans les yeux, ses petites mains s'agitaient amplement dans un vacarme enfantin. Et bientôt, les autres étudiants la suivirent, d'un air un peu forcé peut-être. L'apaisant brouhaha s'étendit dans la salle avec une acoustique puissante, et Xaash ne sut comment réagir autrement qu'avec un air déconcerté, étonné mais timide. Jahnelthra redoubla d'effort dans ses gestes trop exagérés. Puis les surveillants s'y mirent à nouveau.

...Pas Harkun. Il en avait déjà assez donné.

 

 

 

 

 

Peu après le crépuscule meurtrier vint la nuit paisible. Korriban dormait un peu moins peuplée ce soir, et se remplirait vite à l'aube. Même les sith ont besoin de repos. Certains ne l'obtiennent pas, certains se l'interdisent, pour plus de sécurité. Xaash ne dormait pas, et n'était pas vraiment fatiguée. Assise, seule éveillée dans son dortoir parmi les élèves épuisés, elle ne pouvait fermer l’œil. Quelle journée... Quelle histoire... La leçon de Tremel n'était pas nouvelle aux oreilles de la jeune sith. Elle inspira profondément et médita quelques instants. Mais rien de ce qu'elle recherchait ne lui vint. Un souvenir, une pensée, une tactique, un conseil, une vision... Non. Rien d'autre que le sourire de Jahnelthra ne flottait dans son esprit ce soir-là. Jahnelthra applaudissant malgré sa seconde place. Jahnelthra ravie de revoir sa rivale saine et sauve. Jahnelthra... qui avait été la cible de tant de mensonges dans sa propre tête. Qu'y pouvait-elle ? C'était prévu par les maîtres.

Elle se recoucha, et se roula en boule dans sa couverture. Bien dix minutes passèrent, et pas un cil de Xaash ne fatiguait. Non... Elle n'allait tout de même pas...

Eh si...

Comme tirée de son lit par la conscience d'une inconnue, par un étrange désir de compagnie, elle quitta le dortoir, et se faufila vers les étages supérieurs.

 

 

Le petit couloir qui menait au grenier semblait toujours aussi risqué, comme constamment sous surveillance par les grandes statues retenant le plafond. Si quiconque la croisait ici, à cette heure où à n'importe quelle heure, elle pourrait avoir des ennuis sérieux. Toutes ombres dansaient sur les parois, dans la lueur des braseros griffus, et le moindre courant d'air provoquait un sentiment de malaise et de vertige. Mais personne n'observait. C’était juste cette bonne vieille paranoïa qui aime suivre les gens en infraction.

Xaash avança tout de même avec prudence dans le long corridor rouge corail. Elle se déplaça près du mur à sa gauche comme une espionne faisant attention, vérifia bien derrière elle en abordant le virage du couloir, et sursauta, deux pas plus loin.

 

« XAASH ! »

 

A peine eut-elle le temps de comprendre, d’émettre un petit 'ouhf', qu'une silhouette s'empara violemment d'elle, s'entortillant autour de son corps et serrant ses bras et ses côtes. Une tête plus basse que la sienne, la joue de Jahnelthra se frottait contre son cœur.

 

« Tu es revenue ! », lâcha l'échanie dans un soulagement, sans desserrer son étreinte. Son menton se frottait à présent contre le bras droit de la sith pâle, qui demeurait éprise par cette chose bien trop mignonne pour se sentir chez elle sur cette planète. Il ne manquait plus que le ronron.

Le parfum émanant de la coiffure de l'enfant était discret mais délicat. Elle venait de se laver les cheveux, probablement pour retirer la sueur et le sang qu'ils avaient amassés dans la journée. La chaleur du petit corps était apaisante, ses caresses agréables, et bien qu'elle ne se sentît pas à l'aise dans les bras envoûtants, quelque chose l'empêchait de s'en défaire.

 

« ...Pas si fort, on pourrait nous entendre... », murmura Xaash.

 

« Tu as raison. », répondit le chat blanc en se redressant. « Viens, suis-moi ! », enchaîna-t-elle en l'attrapant par la main.

 

Xaash se laissa tirer à toute vitesse jusqu'au bout du couloir, vers la liane pendant de la trappe au plafond. Cette même trappe qu'elle ne pensait pas revoir de sitôt.

 

 

« J'ai piqué des nouvelles rations et on a de nouvelles bougies et une fenêtre maintenant regarde ! Oh, je suis si contente que tu sois revenue ! », sautillait l'enfant surexcitée du retour de sa colocataire favorite.

 

Xaash referma la lourde trappe, en vérifiant d'un dernier coup d'œil en bas, puis se redressa vers l'échanie. Mais la gamine euphorique débordante d'amour et vive comme une panthère lui sauta au cou pour tenter de dérober à ses lèvres un baiser.

 

« N'abuse pas... », insista l'humaine en la repoussant au dernier moment.

 

« Excuse-moi... J'suis hystérique ! », avoua-t-elle en mordillant sa lèvre inférieure. « Viens voir ! », s'empressa-t-elle de continuer en la traînant vers la nouvelle petite fenêtre qu'elle venait de découper dans le toit.

 

Xaash se laissa faire. La vivacité de l'échanie était ce qu'il lui manquait ce soir. Elle ne voulait pas dormir. En effet, la décoration avait quelque peu changé depuis son départ. Une étroite fenêtre donnait sur la nuit et ses minuscules enfants lumineux. La pièce gagnait une coloration bleue à son ancienne et faible teinte à la flamme. Seules quelques petites bougies demeuraient dans les coins et sur la table de lecture. Quiconque voulait vivre avec cette enfant maniaque devait la laisser faire la déco, ça c'était clair.

 

« Je suis si désolée pour la dernière fois. Je veux laisser tout ça derrière nous. Promis, je ne te demanderai plus des choses que tu ne voudras pas raconter. Mais reste avec moi... s'il te plaît... », implora le chaton dont les yeux reflétaient déjà le clair des lunes, tout comme ses cheveux. Elle serrait sa main si fort.

 

« On oublie tout... Mais ne joue plus jamais avec ma cervelle. », proposa Xaash, soulagée de ne pas avoir à s'excuser avant Jahn. En réalité, elle était peut-être venue pour ça, au moins un peu... mais elle en était incapable. « Ouvrons quelque chose. J'ai faim. »

 

 

La nuit avança calmement ce soir-là, au-dessus des têtes des deux jeunes filles. Après un petit repas à la chandelle, elles s'étaient allongées côte à côte, comme auparavant, pour se raconter des histoires en admirant le ciel peuplé, et pour se connaître un peu plus.

Jahnelthra inspirait profondément à plusieurs reprises, apaisée. De temps à autre, elle ne manquait pas d'examiner sa voisine, lui envoyer quelques sourires, inspecter sa pose, qui était un peu plus à l'aise que la dernière fois, mais ses mains froides demeuraient posées sur sa poitrine. Sa respiration calme, sa voix calme. Même les battements de son cœur, discernables seulement sur quelques veines et artères, gardaient un rythme serein. Seule une échanie pouvait lire ce genre de détail de façon naturelle. La jeune femme pâle était distante, mais plus en confiance, et ça suffisait amplement à sa petite sœur pour l'instant.

Ce soir, Xaash avait plus de mal à garder un contact visuel trop fréquent. Son regard se perdait dans les étoiles, dans les bordures de la fenêtre ou le plafond. Ce qu'elle découvrait en ce lieu était intéressant, mais suspect. Pouvait-elle vraiment s'abandonner à ce mode de vie ? Pouvait-elle se le permettre, ou en était-elle tout simplement capable ?

 

« C'est marrant, ce que disait Tremel tout à l'heure... ça m'a fait penser à ce que ta maîtresse t'avait dit, sur l'échec. »

 

« Oui, ça m'est revenu aussi. », remarqua Xaash. « J'avais déjà eu la leçon, mais jamais on ne m'avait imposé la défaite auparavant. »

 

Jahn haussa les sourcils dans une compréhension évidente. La défaite... elle connaissait, elle aussi. Elle se perdit toute seule quelques longues secondes dans un silence de lourds souvenirs. Puis, comme pour se confesser, elle s'ouvrit à Xaash.

 

« J'avais un frère... avant mon départ familial... », commença-t-elle. Xaash retint sa respiration l'espace d'un instant, à la seule prononciation de cette phrase maudite. « Je restais tout le temps avec lui et mes deux cousins, sur Eshan... Il s'appelait Herkaana. C'était plus qu'un frère pour moi en réalité... je dirais même que c'était mon héros. Plus grande, je voulais devenir comme lui. » Jahnelthra laissa s'échapper un petit gloussement nostalgique. « Tu aurais adoré le voir en action, tout comme j'adorais le faire. Il était doux, gentil, presque comme un grand-père parfois... mais au combat c'était un ours ! »

Elle s'arrêta, sévère. « Il est parti de la maison avant moi, et pas dans d'agréables conditions... Il m'a laissé un magnifique lys noir, accompagné d'un petit mot, et au petit matin, il n'était plus là pour veiller sur moi. Il avait appelé ça une "divergence de point de vue" avec mes parents, mais je savais qu'il voulait juste m'épargner un langage plus grossier. C'était un guerrier, pas un... Enfin bref, j'espère qu'il vit toujours. », conclue-t-elle, trop rapidement. « Une fois loin de Korriban, je veux le retrouver. Lui et mes cousins. »

 

« C'est plus raisonnable que tes ambitions du... monde et de l'Empire à nos pieds... et de ton grand château. », fit remarquer Xaash.

 

« Oh, ça tient toujours... », lui sourit capricieusement l'échanie en tirant la langue.

 

A ce moment, une comète pénétra le ciel de cobalt, déchirant l'instant d'une seconde la toile mouchetée au-dessus des deux rêveuses. Elles restèrent là, dans le silence le plus parfait de la nuit, sans dire un mot. S'il suffisait simplement de demander à l'étoile filante une faveur, nul doute que les deux enfants auraient essayé. Mais parfois, le simple silence d'un doux spectacle libère des miracles inattendus bien plus vite qu'on ne pourrait le croire.

 

« Parle-moi... Qu'est-ce qu'il y a ? », encouragea Jahn. Xaash se retourna interrogée vers l'échanie. « Tes poumons se bloquent en inspirant, tes lèvres se décollent et ton cœur s'emballe un peu quand tu veux parler... »

 

Cette petite sorcière était incorrigible. En effet, ce soir, un nouveau pas allait se faire.

 

« J'ai... J'ai eu un frère aussi... », peina-t-elle à avouer. Jahnelthra resta sidérée, et regagna son air passionné et à l'écoute, mais plus compatissant, plus triste que la dernière fois, s'accordant au ton de la voix grave de Xaash. « ...Un petit frère... Je ne l'ai pas connu très longtemps, mais... je m'en rappelle si bien... Il est parti lui aussi, à l’âge de trois ans, pour être formé à Kaas City en tant que sith. Je ne l'ai jamais revu, puis j'ai appris son décès il y a à peu près cinq ans... »

 

Jahnelthra avait deviné à l'avance le destin du garçon, au ton qu'y mettait Xaash. Quelque chose lui disait que ce n'était pas la seule histoire tragique qu'elle allait apprendre de cette triste éponge à noirceur qu'était son amie. Elle baissa les yeux et tenta de comprendre un peu plus :

 

« ...Comment tu l'as su ? »

 

« J'ai fait un tour à la bibliothèque publique impériale, en ville, et j'ai recherché son nom dans les banques de données militaires. », continua la pauvre adolescente dont les yeux commençaient à trembler, mais pas encore à briller. « Je me rappelle le son de la machine en affichant en rouge le simple mot "décédé" sur toute la largeur de l'écran géant. Et rien d'autre. Une liste, un nom parmi tant d'autres, une date de naissance, et ce mot froid, sans justification ni contestabilité. »

 

« Comment s'appelait-il... ? », osa demander Jahn. Elle n'eut comme réponse qu'une difficile expiration fragile de la part de son amie, et n'insista pas. Ni sur lui, ni sur le reste de son passé. C'était déjà beaucoup pour Xaash. Telle une fleur au premier matin de printemps, elle venait de s'ouvrir comme jamais auparavant. De sa propre volonté, sans aucun tour de passe-passe mesquin de la part de l'échanie.

Jahnelthra se serra en boule contre elle, empoignant le bras et reposant sa tête lourde sur la clavicule de celle en qui elle confierait bientôt sa vie, ses désirs et ses espoirs. Ensembles, elles avaient tant à accomplir, tant à explorer, tant à se dire... Et elles avaient le temps, ici, seules dans l'ombre de l'académie endormie, sous la lumière des lunes maudites.

 

 

Soudain, Xaash releva la tête brusquement. Jahn l'observa avec stupeur. Que se passait-il ?

 

« Tu as entendu ?... », demanda l'enfant pâle, comme un chien en poste de garde. L'échanie se retira de son amie, et scruta la pénombre, puis l'humaine d'un air interrogateur. Il n'y avait rien ici...

« Ça vient de là-bas... », murmura Xaash en se relevant, flairant une piste.

 

Elle avança dans l'obscurité à quatre pattes, vers le fond de la chambre. Jahn la suivit, curieuse, puis la vit s'arrêter net, et fermer les yeux. Plus personne ne respira pendant une dizaine de secondes, puis de légers murmures se firent enfin entendre.

 

« Ça vient d'en dessous... », murmura bruyamment l'échanie excitée par le mystère.

 

Xaash glissa ses ongles puis ses petits doigts sous un morceau de dalle brisé, retira délicatement puis déposa à côté le bout de pierre taillée, et toutes deux se penchèrent vers l'étrange découverte qui les appelait.

Un mélange rouge fade de terre et d'argile séché recouvrait la couche sous les dalles, mais au milieu, une fente laissait s'échapper une faible lueur bleue nuit. Une lueur venant d'un monde inconnu. Un monde sous leurs pieds, et pourtant bien au-delà de leurs têtes. Un monde interdit, et plein de pouvoir.

 

 

« C'est scandaleux ! Tout bonnement scandaleux ! Ravage ! Soutenez-moi bon sang ! »

 

« Nous ne sommes pas ici pour nous diviser une fois de plus, Aruk, mais pour maintenir notre botte sur Coruscant ! »

 

« Notre botte ne les retiendra pas longtemps avec de telles politiques ramollies et laxistes, Vowrawn ! ...Mekhis ! Que proposez-vous ? »

 

« Ma technologie n'est pas encore au point seigneur Decimus. »

 

Xaash et Jahnelthra retinrent leur souffle. La cadette couvrit sa bouche de la main, tandis que l’aînée laissa la sienne pendre grande ouverte. Bien que la vue ne fût que très faible à travers la fissure, quelques silhouettes en contrebas s'agitaient. Mais les paroles, quoique faibles, ne trompaient pas.

 

« C'est le Conseil Noir !... », murmura Jahn, toute surprise.

 

« Shhht !... », lui renvoya l'humaine attentive. Elle savait très bien de quoi il s'agissait. Chaque nom et presque chaque voix qu'elle venait d'entendre, elle les avait étudiés avec admiration et respect, il y a longtemps déjà. Mais ce qu'elle était en train d'admirer... pratiquement personne n'y avait eu accès.

 

« Chers collègues... nul besoin de s'affoler. Je vous assure que la situation est bien en main. Seigneur Marr, je pense que nous sommes prêts à écouter votre sagesse... », proposa l'un des dirigeants, calme, masqué par le chrome.

 

« Merci mon ami. », remercia le concerné, lui aussi masqué. L'homme imposant se leva de son trône, et entama les cent pas au milieu de la salle, apparaissant et disparaissant régulièrement du champ visuel des deux spectatrices passionnées. « Mes braves associés... Vowrawn a raison. Ce n'est pas le moment de nous diviser, mais bien au contraire de rassembler nos forces. Si un Kaggath venait à s'imposer maintenant, notre unité serait si branlante que la populace pourrait l'apprendre... et la République avec elle. Je m'adresse particulièrement à vous deux... », dit-il en pointant du doigt un zabrak et une zeltronne ronchons bras croisés. « Votre rivalité constante suffit... »

 

« De quoi ils parlent ? », demanda Jahnelthra, confuse, mais déjà allongée sur le ventre, menton dans les mains, coudes contre sol et pieds battant l'air.

 

Xaash était bien trop concentrée pour répondre. Ce qu'elle faisait était interdit. Passible de mort. Mais sa curiosité et son admiration étaient aux commandes ce soir-là. Comment détourner les yeux face aux plus grands héros et politiciens de son Empire bien-aimé ? Tant qu'elle n'en parlait à personne... Tant que toutes les deux n'en parlaient jamais à quiconque...

 

« Quoi qu'il en soit... nos espions viennent de nous rapporter que la construction du temple jedi sur Tython est enfin achevée. Des ajouts de dernière minute, ainsi que des réparations sommaires ont retardé les architectes, mais nos ennemis y accueillent à présent sept pourcent l'élèves en plus. D'où l'entrée plus importante d'acolytes chez nous cette année, pour maintenir un quota supérieur... »

 

À ces mots, Jahnelthra fit un brusque mouvement en avant pour mieux écouter. Xaash savait qu'elle aussi détestait les jedi, comme chaque sith se doit, mais la simple mention du temple avait éveillé sa rage comme un drapeau rouge celle d'un reek. Le visage de la petite échanie afficha les rides de la frustration, sa bouche souffla l'haleine du mépris et ses poings serrés s’abattirent sur le sol...

 

Un peu trop précipitamment...

 

Lorsqu'un accident se produit, il n'est pas rare que le temps donne l'illusion de freiner. Les événements défilent au ralenti, les sons s'assourdissent, et le sentiment d'impuissance escalade dans l'âme des responsables, qui se figent sans agir face à l'inévitable. Et alors qu'un tout petit caillou, qui somnolait jusqu'à présent sur l'argile comme les autres dalles du plancher, roula droit vers la fente... le cœur des deux adolescentes implosa.

 

La minuscule pierre chuta comme un crédit dans un égout, et tomba lentement vers le centre de la salle inférieure sous les yeux affolés des gamines effarées.

 

La pierre se serait brisée à la vue de tous, dans le plus atroce des bruits, si Xaash n'avait pas émergé de son emprise pour la rattraper par la pensée, une paire de secondes plus tôt.

 

Les membres du grand Conseil Noir auraient tous levé les yeux vers les intruses espiègles, puis les auraient fait exécuter sur le champ, si l'humaine n'avait pas gardé ses réflexes.

 

Les deux jeunes aspirantes sith auraient entendu les nouvelles découvertes sur la vieille opération des jedi dissidents sur Kaas, si la panique ne les avait pas rendues sourdes.

 

Mais les choses sont ce qu'elles sont. Le destin, s'il existe, a un plan, et le temps, quel qu'il soit, ne revient jamais sur ses pas.

 

« On a eu chaud... Bien joué... », murmura Jahn.

 

Xaash lui rendit un regard grave et accusateur, et fit remonter la pierre que l'échanie attrapa chirurgicalement, avant de sourire désolée. L'humaine souffla, et abandonna son air sérieux à défaut d'un léger sourire en coin que sa comparse ne manqua pas... Oui, elles avaient eu chaud.

 

 

Ce soir, comme beaucoup d'autres après, perchées à l'opéra de la haute politique, Xaash et Jahnelthra écoutèrent leurs leaders travailler, puis allèrent s'assoupir ensemble, entre les livres et les tapis brodés. Elles apprirent tant de choses utiles pour l'avenir glorieux qui les attendait au chaud, en secret. Mais quelque chose d'encore plus important venait d'éclore, entre les deux jeunes femmes. Un intérêt réciproque. Un intérêt pour une personne qui devenait pour l'autre de moins en moins une rivale, et de plus en plus une sœur. Un intérêt qui peu à peu, se transformerait en amour puissant.

Un amour, qui sauverait la galaxie... plus d'une fois.

 

 

 

 

 

Neuf ans plus tard....

 

 

Alors que le soleil se levait parmi les nuages, offrant un horizon d'aquarelles vives, Xaash-tâ était assise en tailleur, les yeux fermés, la respiration calme. Elle avait passé une bien mauvaise nuit. Dans ses rares moments d'assoupissement, ses fantômes lui retournaient l'esprit, jouaient avec sa fragilité, et la laissaient se réveiller, seule. Pour faire face, à l'aube, elle méditait dans le côté obscur. C'était la seule solution. Les ignorer était vain, les vaincre semblait impossible. Xaash avait besoin de ce silence... tout comme ce jour sur Korriban, durant l'épreuve du feu. Ce silence, paisible à l'extérieur, mais mortel à l'intérieur.

Lorsque Rish le resplendissant s'attaqua aux paupières de la Dame Pâle encapuchonnée, Jahnelthra franchit son rideau aquatique pour la rejoindre. Elle se posa à ses côtés, et admira la vue de la plage dorée depuis la hauteur.

« Comment tu te sens ? », demanda l'échanie à sa sœur.


« Très bien... »


Jahn pivota vers elle, soucieuse, et se pencha pour tenter d'apercevoir le visage serein de la femme en conflit.


« T'as jamais été vraiment douée lorsqu'il s'agissait de formuler un mensonge. »


« Une nuit agréable... », répondit l'humaine, continuant le mensonge mais cette fois avec le ton sarcastique qui était approprié. Elle ne bougea pas pour autant, et resta yeux fermés face au paysage. « Le chien rouge ronfle bien ? »


Jahnelthra émit un petit rire du nez. Évidemment, sa question était à double tranchant. Peu importe la distance ou les bourdonnements continus de la cascade, elle avait dû les entendre, la nuit.

 

« Il dort à poings fermés... Je l'ai rarement vu aussi calme, aussi apaisé... »

 

Elle jeta un œil vague dans le vide tout en souriant. La perturbation fréquente, voire parfois constante de son amie la plus chère était une douleur qu’elle aurait aimé vaincre plus que tout. Mais elle avait compris depuis longtemps que ce n'était pas un combat qu'elle pouvait gagner avec les mots.


« Tu as réfléchi à ce que je t'ai proposé ?... »


Xaash garda le silence... elle savait très bien à quoi l'échanie faisait référence...


« J'ai ce pouvoir... mais la chose la plus cruelle avec... c'est que je ne peux même pas m'en servir pour moi. Je ne peux faire ce cadeau qu'aux autres. Alors que j'aurais tant aimé tout oublier, moi aussi... parfois... », avoua Jahn en croisant les bras face à la petite brise. Ses cheveux blancs comme neige ressemblaient à des flammes en s'agitant chaotiquement devant son visage immobile.


« Ça n'a rien de cruel. », coupa Xaash en tournant enfin la tête vers l'échanie. Ses yeux rouge sang contrastaient avec l'obscurité qui les entouraient. Elle se leva sèchement. Jahnelthra n'avait-elle pas retenu la leçon ? « Le passé fait de nous qui nous sommes... Si tu te l'effaces... tu effaces ton âme. », dicta fermement la sith au regard terrifiant, sans hausser la voix. Elle disparut dans les palmiers pour rejoindre le campement, la laissant méditer sur ce qu'elle venait de dire.


Jahnelthra sourit tristement. Son amie était aussi sage que déterminée. Elle regarda le vide béant devant ses pieds une dernière fois et fit volte-face.

 

« Tu as peut-être raison, ma sœur... »

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