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Xaash-tâ: Convictions

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Discipline… Concentration… Relâchement… Cherche l’immobilité la plus profonde et complète… Le point culminant entre l’écho de la Force et le calme total. Le temps s’est arrêté… Pas un bruit ne demeure intact, car l’air ne peut m’atteindre. Si la petite brise de Yavin ne peut effleurer ma peau, les rayons de son soleil, eux, le peuvent.

J’ouvre les yeux.

La cage de lumière miroitante qui m’entoure m’est étrangère. Bien trop radieuse pour une créature de l’ombre telle que moi. Pas étonnant, au vu de sa propriétaire. Mais son calme constant… ce refuge fragile, à l’écart de toute vie, de toute perturbation… Une capsule de méditation n’offre pas de havre aussi authentique.

Ma masse est réduite par deux, ma pression musculaire en est multipliée. Je suis libre de m’élever, mais mon corps reste écrasé. Voguer nue dans l’espace ne doit pas être très éloigné de mon expérience, quoi qu’un peu moins chaleureux. Mes jambes croisées, ma poitrine bombée, mes poignets sur mes genoux, j’attends. Même si je ne puis rester ici indéfiniment, le temps demeure éteint. Je m’ouvre pleinement à la Force, et je referme les yeux.

Je fais corps avec ce qui m’entoure, et je ne fais qu’un avec mon corps. J’embrasse qui je suis… ce que je suis devenue… Je laisse libre cours aux fantômes de mon passé, aux démons de mon présent, et aux chimères de mon avenir. Je ressens ce que la Force m’autorise à ressentir, libre de toute irruption étrangère. Les battements décélérants de mon cœur, le sang qui ruisselle dans mes veines, chaque organe de mes entrailles, chaque membre, chaque parcelle de mon être charnel. Même la boucle de chrome froide qui orne mon maillot noir, au-dessus de mon plexus. Et l’eau. Cette eau, calme et pure, qui fait tanguer ses vagues de lumière sur mes paupières closes.

 

Un frisson me parvient, mes sourcils se froncent, et mes poumons laissent s’échapper une petite quantité d’air, qui remonte sous formes de bulles terrifiées, vers la surface. Un petit échange, pour garder ma concentration intacte.

J’oublie vite mon entourage réel, et me plonge dans les synapses de la Force. Tous ces chemins, toutes ces vies, ces destinées… je cherche ma voie. Perdue dans un amas de possibilités, un écho m’appelle. Un murmure… Une voix que je connais bien… mais sur un ton étrangement sinistre…

 

« Xaashhhhhh… tâââââââââ… »

 

Je suis dans le noir… Le noir le plus absolu. Tout ce que je perçois, c’est mon corps, pourtant très clair, et son reflet sous mes pieds… Ce qui devrait être le sol est inondé. La très légère teinte écarlate entre mes orteils m’invite à repenser la nature du fluide.

 

Je suis observée…

Une ombre, malsaine, se faufile constamment dans mon dos, à l’abri de mon regard. J’ai beau me retourner, elle est trop rapide… Tel un prédateur, elle attend le moment opportun pour me terrasser. Mais je l’entends.

Quand enfin, le déchirement d’un sabre laser en ignition se répercute dans mes tympans, je fais face.

 

Une silhouette, pâle et floue, s’avance lentement vers moi depuis les ténèbres. A mesure qu’elle se rapproche, je la reconnais. Rayonnant comme un ange, élégante telle une gazelle tarchalienne, mystérieuse comme un spectre. Mais ce n’est que lorsqu’elle est près de moi que je remarque le désarroi dans son regard. Je tends une main pour atteindre son visage, mais l’espace, tout comme le temps, n’a plus de valeur ici.

 

« V-… vite… Je… je ne tiendrai pas plus longtemps… X-x-xa … Xaash… Sauve-toi… », pleure-t-elle, au bout de ses forces.

 

C’est alors que les flammes de mon enfance me reviennent. En un instant, je suis replongée dans cet acte infernal, seule, face au poids de mon unique responsabilité, et au sacrifice dont ma faiblesse m’a contrainte. J’étais si jeune… j’étais à bout de forces, moi aussi…

 

Un spasme m’irrite la nuque. Qu’essaye-t-elle de me dire ?...

 

« Va-t’en !... Allez-vous-en… », me supplie à nouveau l’échanie dans le noir. Les flammes sont parties. Je suis de nouveau seule avec elle.

 

Une lueur, propre à elle-même, se distingue dans ses yeux immaculés. Bien que de vraies larmes ne s’en échappent, je lis en elle une sorte… d’espoir ? Oui… elle me sourit, faiblement… Ou bien n’est-ce que mon interprétation ?… Plutôt un ressenti.

Alors je comprends, sans vraiment comprendre… Et je m’en retourne. Pas de place pour le doute. Je ne saurais l’expliquer, mais un sentiment de confiance m’envahit alors. Je sais que je dois la laisser. Partir, et ne pas regarder derrière moi. Je sais… je suis convaincue… que son sacrifice, cette fois-ci, n’en sera pas un.

 

Elle vivra…

 

« NOOAAAAAARRRHH !!! », rugit une toute autre voix vers laquelle j’accours.

 

Autour de moi, la pression monte, l’eau déferle, tout tremble et menace de s’écrouler, de m’écraser. Alors j’ouvre les yeux, et remonte vers la surface.

 

 

 

 

[An 13 ATC / -3640 BBY]

 

Lorsque la jeune femme émerge, et que la surface pure de l’eau se bombe puis éclate par-dessus les courbes simples de son crâne, les rayons de Yavin scintillent autour d’elle comme une aura. Chaque goutte qui chute depuis ses épaules miroite sa majestueuse silhouette avant de replonger dans la piscine. Sous le ciel matinal et ses nuages rosés, Xaash-tâ se redresse, calme mais pensive, face à l’insondable paysage meublé de hauts arbres et d’antiques temples. Là, elle inspire enfin : la première bouffée d’air depuis le début de son immersion, il y a un peu plus d’une minute. Quand elle termine de vider ses poumons, le silence l’entoure à nouveau. La brise, les oiseaux, la jungle… tout lui échappe quelques instants, et lui autorise à penser. A tenter de donner un sens à sa vision. Si tant est qu’elle en ait un.

Qu’est-ce que la Force attendait d’elle ?...

 

« Tsseh… Alors t’as bien un corps sous toutes ces couches, finalement… »

 

Le silence trépasse et l’abandonne définitivement. Les oiseaux braillent, le vent s’esclaffe, les arbres grincent. La peau pâle et humide que revête la sith se hérisse face à la brise givrée, et les quelques traits qui avaient disparu de son visage retombent en une moue de déception.

 

« …S’bien la première fois que je te vois aussi peu fringuée. », ricane le grand zabrak.

 

C’est bien la première fois qu’il passe inaperçu celui-là, aimerait presque rétorquer la sith. D’ordinaire, personne ne peut la prendre au dépourvu… et surtout pas lui. Depuis quand l’observait-il ?

Il est là, assis sur sa jambe, sur une marche de l’escalier, dans son angle mort droit. Torse nu, comme à son habitude, les bras croisés, la tête basse. Même son souffle peut atteindre les oreilles de la pauvre femme, qui a complètement oublié son ambiance de méditation.

 

« J’te dérange ptet ? », soupire-t-il enfin, las d’attendre une quelconque réaction.

 

Xaash se retourne vers lui. Ses yeux rouges le fixent, accompagnés d’un air froid et désintéressé. Elle ne bouge pas le moindre cil. Andrax, en revanche, lève une arcade. Il se redresse, pas très impressionné par l’air menaçant que semble lui lancer l’humaine, et garde ses bras croisés. Sa hauteur fait de l’ombre à la jeune sith, qui pourtant le dépasse en âge de cinq années. Il fait un pas, et regarde la piscine un instant, puis la femme à nouveau.

 

« Tu faisais de l’apnée ? Pourquoi faire ?... »

 

« Je peux t’aider pour quelque chose ? », le coupe-t-elle, comme s’il venait d’interrompre son intimité sur l’évac-tube.

 

Le grand zabrak montre les dents. Après tous les efforts qu’il avait dus faire pour venir lui parler en face à face, seul à seule… C’était la première fois. Mais Lizz avait raison : Xaash était la mieux placée pour l’aider. Et hors de question pour la petite twi’lek de l’accompagner ; elle cherchait à éviter le regard de la sith le plus possible depuis leur rencontre. Lui en revanche… c’était plus délicat. Il se devait d’essayer. Si pas pour lui, au moins pour Jahnelthra. D’un autre côté, avec qui que ce soit d’autre, il aurait déjà abandonné à ce stade… voire pire. Alors il se lance.

 

« …Mouai. », avoue-t-il en baissant la tête. Ça n’allait pas être simple. « On m’envoie au front sur Hoth. Au moins une semaine. J’ai plus un cred sur moi, et Jah veut que je… Comment elle a dit, déjà ? … "m’investisse"… Tsseh. Enfin… Tu sais faire une dérogation, toi. Tu peux me l’écrire fissa, faire en sorte que ce soit aussi bien payé, mais ailleurs, moins froid, et plus court surtout… »

 

A sa demande, qui n’en est presque pas une au vu de l’intonation, Xaash parait soudain confuse.

 

« Pourquoi tu viens me voir, moi ? »

 

« Chais pas écrire… bien… », tente de se corriger le guerrier rouge. « Et Jah veut que j’me démerde, juste pour me faire chier… J’pige pas, elle peut même plus compter ses cartes de creds, et elle veut que j’aide pour payer ma bouffe. Et celle de Lizz. », s’énerve-t-il alors, tout seul.

 

La jeune femme reste au centre de la piscine, droite comme un garde d’honneur, distante comme un espion. Elle tente de se faire une meilleure idée de son nouveau colocataire à cornes. Elle l’avait rencontré il y a plus d’un mois, mais rares avaient été les fois où ils avaient pu échanger réellement. Loin d’être curieuse, elle aussi devait au moins tenter d’avoir une relation avec le compagnon de son amie. Sans quoi leur nouveau mode de vie n’allait pas durer bien longtemps.

Méfiante mais aussi quelque peu maladroite, elle demande alors, de sa voix toujours aussi sombre :

 

« Et depuis quand ça te fatigue d’être payé pour déferler ta rage sur les ennemis de l’Empire ? »

 

Andrax retrousse ses lèvres supérieures, un air de dégoût s’affiche sur son faciès, et son pied commence à tapoter. Il grogne. L’Empire ? Sérieusement, elle pensait qu’à ça !

 

« Depuis qu’il y fait au moins… moins cinquante ! J’veux pas bosser loin longtemps. T’as qu’à prendre ma place tiens, si tu tiens tant à lui lécher les pompes à ton Empereur. »

 

La nouvelle Furie se met à bouillir. Ses yeux se plissent, ses dents se serrent, en même temps que le vent se lève. Comment osait-il ? C’était son Empereur à lui aussi, et l’oublier serait trahison ! Mais à dire vrai, elle avait vu cette facette d’Andrax à maintes reprises déjà. Le grand zabrak était en réalité plutôt un mercenaire qu’un vrai sith. Il ne fallait pas qu’elle l’oublie, c’est tout. Jahnelthra lui avait même appris, la veille, qu’il n’avait jamais mis le pied sur Korriban. Avait-il seulement passé quelques tests légitimes au moins ? Elle en doutait.

 

« J’ai des affaires plus urgentes sur Kaas. Réenvisage la question… Une semaine, ce n’est pas beaucoup demander. Bien d’autres y restent des années. », lui explique-t-elle à raison. « Il faut savoir faire des concessions, des sacrifices au cours de sa vie, si l’on veut avancer. Si ta protégée twi’lek est ta responsabilité, assume-le. Je pense que Hoth te fera le plus grand bien. », conclue-t-elle donc, comme si elle prenait la décision pour lui. Du moins, c’est ainsi que le grand zabrak l’interprète.

 

Andrax pose lourdement, ou plutôt frappe ses poings sur les rebords de la piscine. De petites vagues viennent ramper vers les cuisses de Xaash, qui ne bronche pas. Les hommes musclés… Toujours bruyants en apparence, mais pas si intelligents ni même dangereux au final, se dit-elle.

 

« Je crois que t’as pas saisi... J’irai pas. Fous-moi sur Nez Peron, ou une bonne vieille Balmorra au pire, avec une poche pleine de stims et j’te racle tout ça vite fait ! Hoth, non mais… pis quoi encore ? Grrrrmh… La question c’est : Est-ce que tu vas m’aider, ou pas !? », grogne-t-il.

 

Il est à bout, il se contient. Ses yeux d’ambre ne lâchent pas la sith du regard. Xaash peut y voir une haine grandissante. Pour elle, c’est encore la haine d’un enfant, refusant de faire son devoir. Un enfant qui n’a toujours pas compris l’importance de l’une des leçons cruciales de la vie. Une leçon qu’elle avait retenue dans le donjon de Kaas, il y a bien longtemps, et qui l’avait accompagnée dans les moments décisifs qui avaient mené à son ascension.

 

« Hey ! Chuis toujours là j’te signale !... », s’impatiente le grand guerrier. Encore une leçon qu’il devrait apprendre : la patience.

 

Xaash serre les poings, plisse les yeux tout comme lui, et juge le zabrak indigne de son intérêt ou de sa pitié.

 

« …Tu as ma réponse. », décide alors la sith, qui privilégie ses propres convictions, plutôt que d’aider l’ami d’une amie.

 

« RHAAAH !! Super ! Merci pour rien, ul’chhkeï amkrak… ! », s’enrage Andrax, qui fait demi-tour et peste en marmonnant.

 

Sur son passage, il donne un magistral coup de pied dans un petit arbuste en pot, qui s’envole pour aller se fracasser derrière l’une des cascades qui orne les montagnes de la ravissante forteresse.

Non. Décidément, ces deux-là ensemble, ça n’allait pas marcher.

 

 

 

 

[Une semaine plus tard…]

 

Un doux parfum de fleur et d’épices parvient à mes narines lorsque Jahnelthra verse le contenu cinabre d’une élégante bouteille dans son verre devant moi. C’est un Tarul, fermenté et élevé sur Naboo, qui date du Traité. Une belle année, même pour un vin. Lorsqu’elle porte le verre à ses lèvres pulpeuses, je ne peux m’empêcher d’imaginer les dizaines de crédits qui coulent indirectement dans son estomac à la moindre gorgée. Tout un salaire habituel pour une simple boisson. Le gout exorbitant de Jahnelthra pour le luxe, surtout en ce qui concerne la cuisine, demeure un mystère éternel pour mes papilles.

 

« Mh- pardon, tu en veux… ? », me demande-t-elle, soudain gênée par mon regard.

 

Elle me tend son verre par-dessus la table. Il fait sombre, mais son simple geste fait frétiller la seule bougie qui nous éclaire. Et la chandelle, de sa faible lumière, fait à son tour vibrer la petite pièce de roche noire où nous nous sommes réfugiées. Pas de gardes, pas de majordomes, pas de zabrak.

 

« Je ne bois jamais d’alcool. Nous le savons toutes deux, cela me répugne. »

 

« Et c’est bien dommage… Tu ne sais pas ce que tu rates. Une seule soirée, en compagnie d’un ou deux verres, d’une douce musique et d’un bon mec… et ça changerait ta vie, ma sœur. », me confie-t-elle en se reculant dans son fauteuil en soie.

 

Je n’ai qu’à pencher la tête sur le côté, lever un sourcil, et la fixer. Elle me sourit, et ferme les yeux en balayant l’air de la main ; la bougie danse, la roche grimace. On se comprend.

 

« Alors… qui commence ? », demande-t-elle donc en posant son verre sur un coin de la petite table en bois sculpté qui nous sépare.

 

Elle se frotte déjà les mains. La lueur de défi dans son regard me plait. Je lui laisse donc les honneurs, et m’installe en tailleur dans ma chaise, un verre d’eau sucrée à ma portée.

C’est sans surprise qu’elle ouvre avec sa pièce favorite. La limace k’lor. Les petits doigts dorés de l’échanie viennent déplacer la petite sculpture de deux cases vers sa droite.

Lors de l’une de ses premières défaites au dejarik contre moi, Jahnelthra avait littéralement broyé la pièce de ses mains. A l’époque, elle était comme toutes les autres pièces : faite de verre. Après une semaine de bandages, Jahnelthra avait compris la leçon, et moi, je lui avais confectionné cette pièce en bois d’oro, pour la remplacer sur le plateau. Elle faisait un peu disparate au milieu des autres, mais elle était unique. Et aux yeux opalescents de l’échanie, elle représentait un peu plus encore. Ses détails la fascinaient. Très franchement, elle adulait et vantait ma pauvre création de façon exagérée. Lorsque l’on bricole, l’ajout de détails devient vite enivrant, c’est tout. Pas de quoi en…

 

Elle m’attend. Je regarde le plateau succinctement, et fait déplacer mon houjix sur le deuxième anneau, une case à sa gauche, comme d’habitude sans faire l’effort d’aller la cueillir physiquement. Tant que je ne lis pas dans les pensées de mon adversaire, la Force n’est pas proscrite.

 

Cependant, je préfère m’abandonner à une toute autre forme de lecture mentale.

 

Alors que Jahnelthra se concentre sur la table, et délaisse son vin quelques instants, je n’hésite pas à décrypter la femme du mieux que je puisse, simplement à l’aide de mes yeux. Comprendre comment les gens pensent en dit souvent beaucoup sur eux. Je connaissais déjà tout de ses ambitions, de ses rêves, mais sa psychologie demeure quelquefois mystérieuse.

 

En seulement cinq années, elle était passée d’une jeune sith toute fraîchement sortie de Korriban à la principale actionnaire de la Corporation Czerka, la messagère au Conseil Noir, et la principale richesse de tout l’Empire. Elle avait fait la guerre sur de multiples fronts, dompté parmi les pires barons de la pègre Hutt, et rejoint les plus hautes sphères de la noblesse d’Aldérande. Personne ne pouvait accomplir autant sans une absolue dévotion, une parfaite confiance en soi et un minimum de sacrifices sur le chemin. C’est d’ailleurs ce qui m’intrigue précisément…

 

« A toi. », me souffle ma ravissante adversaire.

 

Son molator a bougé. Cependant elle semble prendre d’ores et déjà des risques. Risques qui avaient mené à sa perte lors de la dernière partie. J’attends donc et fait avancer mon faucheux. Tant de possibilités s’ouvrent à chaque mouvement, tant de voies pour une même partie qu’il est presque impossible d’en voir le bout avant qu’il ne soit trop tard. Tout comme dans la vie, il faut faire du mieux possible, aussi loin que notre vision puisse nous porter. Mais Jahnelthra fixe la victoire, sa victoire. Et au fur et à mesure que le jeu s’allonge, je commence à percevoir les ficelles de l’échanie.

Son insatiable plaisir… non… son réel besoin de tout manigancer, de tout prévoir, manipuler et contrôler à l’abri de mon regard. C’est ainsi qu’elle a toujours été. Dès lors que je l’ai rencontrée. Elle a horreur du hasard, alors qu’elle semble si douée aux jeux. Peut-être feint-elle cette chance que tout le monde la sait posséder ?

 

La voilà qui recommence. Elle sacrifie sa limace k’lor, simplement pour tenter une attaque sur mes pièces. Je ne remets pas ses facultés et l’efficacité de ses stratagèmes en doute. Au dejarik, elle a au moins autant de victoires à son compte que moi. Bien souvent, je ne la vois pas venir. Mais c’est justement ce qui m’inquiète. Jahnelthra est un électron libre, un personnage imprévisible, espiègle et pervers. Un potentiel danger pour elle-même, dans notre Empire. Bien des sith n’approuvent pas son rang, ou la jalousent. Les autres semblent s’en méfier comme de la peste rakgoule.

 

Jahnelthra lève soudain ses yeux de glace vers moi. Un petit sourire mesquin apparaît sur ses lèvres.

M’espionne-t-elle également ? M’analyse-t-elle comme je le fais ? …M’écoutes-tu, Jahn… ?

Rien…

Ne jamais sous-estimer une échanie.

 

Mes yeux se posent alors sur la seule pièce retirée du plateau. La limace k’lor. C’est précisément là que je voulais en venir. Elle n’est pas arrivée là suite à une erreur. Jahnelthra est le genre de personne prête à sacrifier ses pions favoris, si cela peut lui apporter la victoire.

 

 

 

 

[An 1 ATC / -3652 BBY]

 

Aujourd’hui, c’est son anniversaire. Une date sans intérêt pour les sith de l’Empire, mais en ce jour, Xaash a 13 ans. Comment le sait-elle ? Elle l’estime, à quelques heures près. Depuis l’endroit où elle se trouve, aucun moyen de savoir s’il fait jour ou nuit au-dehors. Depuis presque une semaine, elle ne peut savoir l’heure, le temps qu’il fait, et n’a pas entendu d’autre voix que celle de son estomac qui crie famine. Elle ne respire que l’humidité et ne ressent que le froid. Tout ce qu’elle sait faire, c’est dormir, attendre, et réfléchir… trop réfléchir. Aujourd’hui, Xaash a 13 ans, et attend la mort dans une cellule du donjon de Dromund Kaas.

 

Quelle déception… l’arme qu’elle était sur le point de devenir, les multiples forgerons qui avaient veillé à son façonnement, toutes les batailles qu’elle s’était crue prédestinée à gagner en leurs noms… Et comme ça, en un claquement de doigt, l’arme ultime est brisée, et déçoit tout le monde, alors que la guerre commence à peine. Il y a tout juste un an, Malgus lui-même marchait sur les décombres du Temple Jedi. La fausse paix instaurée n’allait que raviver les braises d’un plus grand conflit. Un conflit auquel elle s’était préparée. La paix n’était pas le seul mensonge, sa vie en était un aussi.

 

La jeune fille, allongée, recroquevillée sur elle-même dans le coin de sa cellule de pierre, se sent déjà partir. La faim, la soif, mais bel et bien surtout le froid, la transforment peu à peu en une statue de honte. Une statue que les archives impériales allaient maudire jusqu’à la fin des temps. Car tel était son devoir.

 

Peu avant le sac de Coruscant, Dark Azamin, à la tête de la sphère de la Stratégie Militaire du Conseil Noir, avait été assassiné par une petite équipe de jedi. Ces derniers avaient pu infiltrer la capitale grâce à l’aide de Dark Décimus, qui récupéra le siège d’Azamin. Mais aujourd’hui, les doutes persistaient, les rumeurs couraient, et personne ne croyait à un simple assassinat des jedi. Beaucoup cherchaient un traître dans l’Empire. Décimus, du haut de son trône, était inatteignable. Ils avaient besoin d’un bouc émissaire pour calmer la foule, et elle était la candidate parfaite à sacrifier. Une simple apprentie, endoctrinée par l’ennemi à la mort de ses parents… ça pouvait marcher.

 

Il y a quelques jours à peine, elle s’entraînait aux côtés de son maître, le Seigneur Erengler. Ses progrès faisaient secrètement leur fierté. Soudain, sans prévenir, un sang pur haut placé était entré dans le gymnase, et tandis qu’il murmurait les détails à Erengler, une poignée de gardes était venue saisir Xaash.

Le surlendemain, Erengler était venu faire ses adieux à son apprentie dans le cachot. C’était la première fois qu’il affichait une quelconque expression face à son élève. Un profond regret se lisait dans ses yeux. Il lui avait tout expliqué, elle savait pourquoi elle allait mourir. Tout ce qu’elle avait à faire, c’était d’assumer. D’avouer sa culpabilité lorsque l’on viendrait la chercher. Un mensonge, une mort indigne - possiblement une lapidation en public - pour que l’Empire puisse vivre prospère. Sur l’honneur de son patriotisme, c’était son devoir. Si elle était réellement loyale, elle n’avait pas d’autre choix que de l’accepter, et de faire de son mieux le moment venu.

 

Sa courte vie repasse comme un vague souvenir dans sa tête. Un souvenir qui mourra bientôt avec elle. La famille, les flammes, la vengeance, Zash, Althe, puis tous les autres maîtres qui l’ont enseignée.

Maître Wikkel, fervente amie de Zash, qui l’avait remise sur ses pieds après les semaines d’esclavage qu’elle venait d’endurer. Maître Demolunn, dont le soutiens psychologique fut quelquefois apaisant. Maître Liother, qui avait décuplé ses capacités dans la Force plus que quiconque. Maître Maygoll, redoutable maître d’arme qui avait aiguisé son style de combat. Maître Ponzoggel, qui l’avait perfectionné à sa suite. Maître Peirenox, dont les archives historiques débordaient de ses appartements. Maître Sib’lekt, la sagesse anoblie, et Maître Erengler, ce grand poète. Il avait encore tant de choses à lui apprendre. Chacun de ces sith avait perfectionné Xaash dans de nombreux domaines. Bien que les leçons de la vie, le combat au sabre laser et l’enseignement de la Force étaient un tronc commun à chaque enseignant, ils avaient tous leur petite caractéristique spécifique qui restait encré dans l’esprit de leur élève. En mourant ainsi, elle les décevait tous. En refusant, elle leur ferait honte.

 

Alors elle accepta son sort. Elle accepta tout. La mort, le déshonneur, la souffrance, le mensonge, Sa lignée s’arrêtait là, et l’Empire continuait sa route sans elle. Après tout, qu’était une vie comparée à son propre peuple ? C’était douloureux, ça l’est toujours. Personne n’aime se savoir près de la mort d’une manière imprévue, anticipée. Mais s’il fallait mourir, autant être convaincante.

Un sacrifice, pour une cause plus importante.

 

 

Ainsi la dernière aube vint. L’ultime repos avant l’ultime repos. Le définitif moment de solitude qui succombe au décisif instant de servitude. Après une courte nuit pleine de rêves sur sa famille disparue, la jolie enfant se prépare pour la fin. Elle médite, droite et solide, déterminée et infaillible, docile et ouverte à ce qui l’attend, quoi qu’il advienne. Elle croit en la Force. Elle l’a toujours fait.

 

« Xaash. Apprentie de Dark Erengler. Tu es accusée de haute trahison envers ton Empire et ton Empereur. Tu es accusée d’avoir contribué à la mort du Seigneur Azamin. Tu es accusée d’avoir pactisé avec notre ennemi, l’Ordre Jedi. Avoues-tu tes crimes ? »

 

La petite voix, fatiguée, brisée, sèche, vieille, mais hardie de la jeune sith s’échappe de sa bouche comme un vent de soir d’automne.

 

« …Je suis coupable de ces crimes. »

 

 

La jeune humaine attend son sort, tête baissée, face à l’inquisiteur, dont elle ne voit que les bottes tranchantes en acier qui dépassent de sa bure pourpre. Elle ferme les yeux lorsqu’elle entend le cliquetis d’une arme se décrochant de sa ceinture. Le crissement d’une lame de métal fendant l’air alors qu’elle s’active fait bloquer ses poumons. Ce sera rapide.

 

« Dans ce cas… la sentence est irrévocable. », dit la voix rocailleuse sous le masque de la mort.

 

La lame fend l’air à nouveau, puis s’abat avec fracas !

 

« Tu as passé le dernier de mes tests avec succès. Je n’ai plus rien à t’enseigner. »

 

Xaash desserre les dents, les poings, puis les paupières. Lorsque son regard croise la lourde lame de l’inquisiteur, plantée dans la pierre à ses pieds, sa tête se relève. Erengler venait de retirer son masque. Derrière lui, dans le couloir, les Seigneurs Goss et Reyzek, collègues de Zash, attendaient avec quelques gardes, impressionnés. Alors seulement, elle comprend, et pousse un très léger soupir, un infime soulagement. La mort n’allait pas festoyer d’elle aujourd’hui. Le monde n’allait pas la mépriser sans raisons. Elle pouvait toujours apporter la gloire et l’honneur à son Empire. Elle regarde alors son maître, qui n’exprime rien hormis une subtile fierté dans ses yeux, et s’incline devant lui pour le remercier de son apprentissage. Quant aux autres, étaient-ils venus pour la transférer d’Erengler à son prochain maître, ou simplement pour vanter sa réussite aux oreilles de Zash ?

Lentement, elle se relève, affaiblie mais triomphante. Elle s’appuie sur la double lame plantée dans le sol, et la revoilà debout. Son maître rejoint les autres dans le couloir, lorsqu’une voix commence à se propager, de plus en plus fort, entre les murs du donjon. Une jeune femme, il semblerait. Cette voix… elle ne la connait pas. Mais elle comprend vite de quoi il s’agit. Des cris, des supplices, des pleurs, retentissent dans le couloir et se rapprochent. Enfin, les gardes et les sith qui attendent Xaash se reculent pour laisser passer un autre peloton de gardes, traînant hors du cachot une maigre acolyte, qui hurle à pleins poumons son innocence.

 

 

 

 

[An 15 ATC / -3638 BBY]

 

Je me réveille pour la quatrième fois cette nuit. Pas de rêves particuliers, mais aucune façon de rester endormie. Mon corps n’a pas sommeil, mon esprit encore moins. Je me retourne sans cesse dans mon lit, mais mes pensées sont sans fin. Je ne peux m’y résoudre, je ne peux accepter cette transgression. Cette violation de la Force… je ne peux la reproduire.

En moins de deux mois, il va falloir trouver un moyen de vaincre l’énergumène le plus puissant de la galaxie. Et pour l’instant, l’unique solution, le seul plan de Jahnelthra… va à l’encontre de mes convictions les plus profondes.

Je ne suis pas d’humeur à dormir. A quoi bon ?

Je décide alors de me lever. Mes pieds nus glissent sur la pierre, et c’est sans un bruit que je m’évade de la chambre que nous partageons, au pied de l’une des tours de la forteresse. J’emprunte les escaliers en colimaçon et m’élève vers le sommet de la colonne millénaire.

 

Au fur et à mesure que je monte les marches, je peux ressentir l’air frais, la douce brise de la nuit de Yavin IV qui me fait frissonner. J’aurais peut-être dû me vêtir un peu plus. Tant pis. Ma nuisette noire n’est pas ce qu’il y a de plus chaud, mais très vite je m’habitue. Au-dessus de moi se trouve la pergola, trônant au milieu du balcon sur le toit. Lorsque ma tête arrive enfin à l’extérieur, et dépasse le plafond, je remarque que je ne suis pas seule. Quelqu’un d’autre n’arrive pas à dormir, on dirait.

Les jambes dans le vide et les épaules basses, Andrax est assis face aux multiples lunes parsemant le ciel sombre à la très légère teinte violacée. Il ne bouge pas d’un pouce. Si je ne le connaissais pas si bien, j’aurais pu croire qu’il déprimait. Sa respiration est lente, calme, comme celle d’un vieux reek. Et il reste là, à mirer les étoiles, ou le paysage qui leur sert de berceau. Je ne bouge pas moi non plus, hésitant à le laisser tranquille. Mais j’en suis incapable, et je m’avance vers lui.

Quand je m’assois à ses côtés, et plonge mes jambes dans la nuit accidentée à mon tour, il tourne lentement son visage vers moi, sans rien dire. Il porte un simple caleçon, mais cela ne me gêne pas, et ma présence ne semble pas l’ennuyer non plus. Ses yeux semblent vidés de toute haine. Soit il est très fatigué, soit quelque chose le préoccupe, lui-aussi. Il faut dire que la journée a été longue.

« Tout va bien… ? », je demande alors, d’un ton presque trop timide.

 

Il met quelque temps à répondre. Je ne l’ai jamais vu penser seul, dans son coin, comme je le fais souvent. Avec ce qu’il se passe en ce moment, je ne peux que comprendre. Alors j’use de ma patience. Ça je sais faire. Écouter aussi, mais rassurer, beaucoup moins…

 

« Mmmh… », soupire-t-il. « J’essaye d’me mettre les idées au clair, s’tout… »

 

Je ne peux que compatir. Avec tout le carnage que l’on s’habitue à voir dans notre vie de sith, il peut être apaisant de s’assoir un instant et de faire le point. Sans quoi, l’on deviendrait vite fou. Et rien de tel qu’un large paysage pour ce faire.

 

« T’as changé d’avis, toi ?... », me demande-t-il alors par hasard, comme s’il pouvait lire ce qui me travaillait ce soir.

 

Je lui réponds ce qui me vient, expliquant les points de vue sur la Force, les risques, et les raisons pour lesquelles cela m’importe tant. Très vite je me perds dans des explications un peu complexes mais qui sont la source du débat qui fait rage dans mon esprit, et qui m’oppose encore à Jahnelthra.

Lorsque mes yeux recroisent ceux du zabrak, je réalise qu’il n’a rien suivi. Il a bien entendu, mais c’est peine perdue pour lui. Il est même déçu que je ne m’en sois pas rendue compte plus tôt. Son ignorance, qui d’ordinaire m’aurait plutôt ennuyé, m’amuse ce soir. Oui, la situation me pousse à sourire discrètement en baissant la tête. Je m’excuse. Il se moque. Je pense que je resterai à jamais une créature mystérieuse pour lui, comme il l’est pour moi.

 

Nous restons tous deux face à la vue, aux arbres obscurs, aux chutes argentées et aux astres lointains. Le silence qui règne entre nous se prête à la noble vue. Cela ne nous dérange pas. Je le sais car aucun de nous ne soupire. Et quand ma patience porte enfin ses fruits, le zabrak inspire lentement, calmement, puis bloque avant de s’ouvrir à moi.

 

« …Je sais pas quoi faire de Lizz. »

 

Je tourne simplement ma tête à gauche, pour l’écouter. Son regard est lointain, porté sur l’horizon. Ses mains n’ont pas bougé, elles sont en boule, l’une dans l’autre, entre ses jambes.

 

« J’ai déjà risqué sa peau trop de fois. Avec moi, elle craint trop. Et… j’veux pas la perdre… Je peux pas. Pas elle… Chier. »

 

Il serre les dents. Ce n’est pas à cause de la brise. Je ne suis pas surprise que l’idée lui traverse enfin l’esprit. Je ne sous-estime plus Andrax, et je sais qu’il tient à la twi’lek plus qu’à sa propre vie. Cronos a dû lui en reparler, j’imagine. Ou alors il ressasse un vieux conseil qui ne lui a vraiment pas plu. Quoi qu’il en soit, je reste à son écoute, et ne dis pas un mot. Parfois c’est ce qu’il y a de mieux à faire, si j’en crois l’expérience des autres.

Lorsqu’il ne parle plus beaucoup, nous attendons encore quelque temps dans la nuit profonde. Pas de regards, pas de gestes, nous partageons simplement ce moment de réflexion sans angoisse comme deux vieux amis sur le toit du monde. Sincérité et respect… compassion et sagesse… fraternité… amitié…

 

La brise sifflote encore un peu, et le guerrier aux deux cœurs soupire enfin. Non pas d’ennui cette fois-ci, mais bel et bien de soulagement. Je peux le ressentir. Il pose bruyamment ses grandes mains sur ses genoux, et s’apprête à retourner se coucher.

 

« Que vas-tu faire… Drak… ? », je lui demande.

 

Le grand zabrak grimace. Il n’est pas décidé, je le sais. Mais finalement, il m’avoue avec un lourd chagrin qu’il dissimule bien :

 

« Elle devrait ptet vivre sa vie… après cette merde. Loin de moi… loin de tout ça… chais pas… »

 

Il se frotte le visage, puis décide de s’en aller. Lorsqu’il se relève, il fait un simple geste, un tout petit rien du tout, qui me surprend toutefois. Andrax pose une main sur mon épaule. Était-il à ce point bouleversé qu’il avait besoin de s’appuyer sur moi pour se relever ? Ou était-il simplement en train… de me remercier ?

Avant que je ne puisse sortir de mes pensées pour lui dire bonne nuit, le zabrak descend les escaliers pour rejoindre sa dulcinée. Je suis à nouveau seule, face à la nuit, et à mes questions.

 

Et je soupire, moi-aussi.

Andrax n’était plus un enfant. Il s’était affranchi de ses caprices, de son égoïsme, et assumait pleinement sa responsabilité envers Lizz. Même s’il allait prendre du temps pour l’accepter, il était prêt à porter un lourd fardeau, à accepter un grand sacrifice, pour le bien de sa petite sœur. Elle avait sa propre voix dans l’issue finale, bien entendu. Et encore fallait-il que la galaxie survive… mais notre grand zabrak s’était ouvert. Il s’était élevé, et avait tout mon respect. Il était loin du zabrak que j’avais connu il y a deux ans. C’était un homme désormais.

 

Inévitablement, cela me ramène à ma propre réflexion. Parfois, s’entêter avec ses convictions est noble, honorable, juste. Mais la galaxie n’est pas faite que de noir et de blanc. Un jour éblouissant projette toujours une multitude d’ombres sur le sol ; la nuit la plus obscure est toujours percée par l’espoir d’une lune, d’un astre ou d’une simple luciole. Qu’étais-je en train de dire ? Parfois, le sacrifice n’est pas de tenir, de supporter, d’endurer jusqu’au bout, et de fermer les yeux. Parfois, il s’agit de se dépasser… d’évoluer. De faire l’ultime effort, de s’ouvrir à l’inconnu, aux dépens de son propre bien, et d’accepter ce qui vient ensuite.

 

Andrax venait-il de m’ouvrir la voie ?

 

 

 

 

[?? / ????]

 

Auparavant, cette planète était comme toutes les autres. Vivant dans un équilibre durable, les créatures qui y rodaient se chassaient entre elles dans le seul but de se nourrir. Aujourd’hui, les vrais monstres de la ville au cœur de la jungle se traquent pour le pouvoir. Nulle société, nulle forme de vie ne peut espérer prospérer de la corruption, de l’avidité, du mensonge et de la jalousie. Toute chose vit dans un équilibre fragile, possible uniquement grâce à l’énergie qui nous entoure et nous lie à l’univers.

La discorde, la… dissidence… est le seul chemin envisageable si rien ne change. En plusieurs milliers d’années de civilisations, cela s’est prouvé être une réalité à chaque fois.

Malheureusement, les peuples concernés s’effondrent bien avant de s’en rendre compte. On peut croire au destin, ou on peut le forger. Nul n’est immortel cependant. Derrière chaque vie se cache une éternité de repos. Et nul ne peut espérer échapper à ce destin-ci.

Éternité... Toute créature qui peut comprendre ce concept le convoite un jour ou l’autre. Alors il fallait bien que je me penche sur la question à mon tour. Il fallait que je comprenne. Tout aurait peut-être un sens après ça.

Terrible erreur. Rien ne sert de tout rationner. Il faut parfois accepter de vivre entouré de mystères, qui eux seront éternels. S’attarder à les comprendre peut même rendre fou les plus perspicaces. Temps et espace sont des notions bien plus abordables que ce qu’il y a au-delà du temps ou de l’espace. Encore une fois, j’ai été curieux.

Enfin presque. Temps et espace ont été curieux de moi.

Non. On ne peut jouer avec les fils de l’univers. Il se passe parfois des choses étranges, incompréhensibles, mais l’entité que l’on partage en nous tous, elle les comprend. Régir tout ça ne nous appartient pas, car nous en sommes les pions.

 

J’étais si jeune et si naïf quand tout a commencé. Enfant de la jungle, élevé dans le secret de la ville.

Voir la capitale pour la toute première fois était un spectacle. Il y avait tant d’éclairs qui crépitaient sur les gratte-ciels. Visiblement ça n’inquiétait personne. Alors qu’on m’emmenait dans un endroit où je ne verrai plus les nuages pendant six ans, je restais la tête en l’air. Il n’y avait pas de plus beau tableau pour moi que toutes ces nuances d’obscurité, en mouvement constant. Similaires, mais jamais identiques.

Un garçon de trois ans ne garde que peu de souvenirs, mais je savais que personne ne m’arracherait éternellement à la fureur du ciel. Naturellement, je me souviens aussi d’un violent trouble mental, d’une terrible perturbation, au fond de mon esprit, qui m’effraya au plus haut point, peut-être un an plus tard… un évènement bref, que tous les habitants de la planète à l’époque se souviennent avoir partagé…

Maîtres après maîtres, leçon après leçon, combat après combat… En me préparant à devenir un nouveau genre de sith, mes kidnappeurs étaient dupés. Nul ne possède le destin des autres. S’ils voulaient m’effacer la mémoire, ils ne le purent. On ne retrouva pas tous les corps. Ni les données collectées sur moi, sur ce que je devenais. Grâce à mes facultés, je m’échappai avant qu’il ne soit trop tard. En me cachant dans les montagnes à seulement douze ans, j’ignorais que j’y trouverais mon salut.

Seul, je ne savais pas qui j’étais, ce que j’étais, ni d’où je venais. Avec mes quelques bribes de souvenirs en tête, je n’étais personne. Ni plus ni moins qu’un autre de ces fantômes qui hante la planète. Se définir dans un monde dont on ne fait pas partie n’est jamais une chose aisée.

Et c’est alors que la montagne dans laquelle je m’étais réfugié me dévora. Sans prévenir, un éclair s’abattit sur le flanc, et la grotte m’écrasa. Par chance, je vivais toujours. On ne pouvait me retrouver ici, il faisait noir, et j’étais seul à des kilomètres à la ronde. Il me semblait que j’allais mourir ici. Rien qu’un enfant, perdu dans l’obscurité totale, sans issue ni espoir.

 

Paradoxalement, c’est dans mon malheur que vint le miracle qui me sauva. Une brèche dans la roche s’ouvrit pour moi. Il ne s’agissait pas d’une fissure dans la pierre, mais bien d’un portail. Sur le moment je me croyais accueilli par la mort.

Traversant le portail, je quittai ce monde pour une dimension toute autre. Une dimension hors du temps et de l’espace.

En réalité, la mort est décrite comme une expérience similaire. Solitude, ténèbres, froideur, et enfin une lumière aveuglante.

Alors une vision qui sembla durer trois ans m’apparut. Revivre la période de ma vie, d’un point de vue extérieur, depuis ma naissance jusqu’à mon départ de la maison, m’ouvrit les yeux sur qui j’étais réellement. Revoir mes parents, ma sœur, mon foyer, plus clairement que jamais, m’emplit d’une profonde joie. Il se trouve que j’appris à propos de l’incendie que bien des années après. Vers la fin de ma vision, je m’éveillai au pied de la montagne, un instant seulement avant qu’un éclat du ciel ne fasse s’écrouler la grotte sous mes yeux une seconde fois. Étais-je alors en train de visionner ma propre mort ? En réalité, on m’avait plutôt offert une seconde chance… mais je découvris vite qu’à ma grande surprise, trois années s’étaient réellement écoulées.

Dromund et sa jungle m’accueillirent encore pour les deux années qui suivirent, en tant qu’ermite. Alors que je m’exerçais à contrôler mes aptitudes dans la nature, j’appris également beaucoup sur mon ancien peuple. N’ayant rien trouvé sur ma famille après des mois de travail, pas même l’endroit où se trouvait ma propre maison, je décidai de mener des recherches dans les archives impériales. Secrètement, je m’y infiltrais, mais je compris après un certain temps que tout cela était voué à l’échec.

Mon esprit tenta alors de se concentrer à contrecœur sur l’étude de mes pouvoirs étranges et encore incontrôlables, du moins le temps que quelque chose de nouveau m’éclaire davantage sur mes origines. Alors que je dévorais l’ancien recueil d’un vieux fou, ermite comme moi, parlant du lien entre les tempêtes de la planète et l’énergie universelle, qu’il croyait être sa propre femme, on me surprit.

Voulant échapper à la foudroyante colère des archivistes impériaux, je décidai bientôt de quitter la planète quelque temps, en me glissant à bord d’un cargo. Il se trouve que mon absence dura plus longtemps que prévu. En réalité… bien plus longtemps.

 

Transporté ici et là, je fus bientôt dirigé vers la bordure extérieure, lorsqu’un accident se produisit. Un astéroïde, peut-être, força le vaisseau à s’écraser sur une planète.

En me réveillant au milieu des flammes, seul survivant, je ne savais pas où j’avais atterri. Sorgaïa, la planète des milles ouragans, n’allait pas me laisser repartir de sitôt.

Drôle de coïncidence, je pus mettre en exercice tout ce que je j’avais besoin d’apprendre. Enfin, années après années, je me voyais devenir maître de moi-même. Vivre dans la plus grande des solitudes n’avait rien de nouveau pour moi. En vérité, c’était mieux ainsi, vu les dégâts que je causais autour de moi. Ne sachant toujours rien sur ce qu’était devenue ma famille, je semais la destruction, toujours à plus grande échelle, et renforçais aussi mon corps. Un ermite, sans parents, sans sa sœur, perdu sur une planète perdue, s’entraînant sans réel but. Elle me manquait, depuis ma vision… oui, surtout elle…

Mais le malheur n’est pas plus éternel que toi et moi. Après douze longues années d’isolement sur la terre des tempêtes, je fus enfin secouru.

M’attarder sur ce qui suivit ne servirait à rien. En peu de temps, je pus revoir mon foyer. Il n’y a que ça qui compte. Le foyer que j’avais abandonné. La planète, mais surtout le toit sous lequel j’avais vu le jour. Et ce que j’avais entendu s’était révélé être partiellement vrai. Un incendie s’était produit, tout juste un an après que l’on m’eut arraché à eux. Rien qu’un tas de cendres froides demeurait. Et mes parents, ma maison, mon passé, n’étaient plus.

Absolument tout ce que je désirai s’était fait dévorer par les flammes… tout sauf toi. Ma sœur. Il ne restait que toi. Et où que tu puisses être, je ne pouvais te retrouver.

 

Alors que j’écris ces mots, je ne sais ce qu’il adviendra. Voir l’avenir n’est pas mon fort, je ne fais que l’appliquer, comme nous tous. En rêves, je m’imagine près de toi, m’endormant dans tes bras, libre de tout devoir, contemplant mon œuvre, impuissant et désespéré. Ce n’est qu’un rêve pourtant, car si je peux toutefois te protéger, toi et tes amis, je sais à mon réveil que jamais notre famille ne sera réunie.

Toi-même, tu ne saurais me reconnaître, sous mes guenilles et ma capuche noire. Observer tes progrès me rend si fier. Il m’a fallu du temps pour te retrouver sur cette lune-jungle, dans cette élégante forteresse.

Jungles et temples n’ont cessé de nous attirer, il semblerait. Et pourtant, nous ne nous serrerons jamais dans nos bras.

Sorgaïa n’est pas une planète comme les autres, le temps y est différent. Un an pour toi en représentait quatre pour moi, lorsque j’y étais coincé. Ici, sur cette planète ou une autre, tu n’as passé que trois ans, lorsque j’en ai gagné douze. Si on peut le dire ainsi… je suis aujourd’hui plus vieux que toi, grande sœur.

En revisionnant notre enfance passée ensemble, j’ai pu me faire une idée de qui étaient nos chers parents. N’aie pas peur de les décevoir. Faire ce qui doit être fait pour protéger ton peuple est une chose noble. Ils t’aimaient, tout comme ils m’aimaient. Nous servons nos causes, nos valeurs, nos convictions, à cent pour cent, et c’est ce qui compte.

Me donner aux sith à ta place fût surement le plus lourd sacrifice qu’ils aient jamais eu à faire. On ne peut les blâmer, lorsque l’on sait comme moi ce qui s’est passé ce jour-là. Ils n’avaient pas d’autre choix….

Mais le sacrifice est une leçon que tous les sith doivent apprendre, un jour ou l’autre. Être emporté pour que tu puisses rester a permis à la galaxie de faire de toi qui tu es aujourd’hui. Malgré toutes tes souffrances, malgré qui je suis devenu, tu demeures sincère. Et cela est une perle rare chez les sith, comme je l’ai dit plus tôt.

 

Ô, ma sœur, je suis certain que l’univers a de grands projets pour toi et tes amis.

Andrax, le guerrier que nulle chaîne ne peut retenir. Lizz, sa protégée, si innocente, si juste, si fragile. Il n’y a qu’à propos de l’échanie que mes doutes persistent… Xaash, ma sœur bien-aimée, le futur m’est incertain, mais il est encore des choses dans ce monde dont je suis convaincu.

Ma vie t’est dévouée, mon sang t’appartient, mon avenir dépend du tiens. On ne saurait m’arracher à cette mission sacrée. Nul ne le pourra jamais.

Alors je demeure dans l’ombre. Mes yeux sur ton doux visage. Obscures seront mes actes parfois, mais toujours ils t’aideront à avancer vers ton glorieux avenir. Un jour, peut-être, te reverrai-je… cependant, hélas, j’en doute. Rien qu’un instant, un simple instant, comblerait mon piètre cœur.

Jamais un homme n’aura eu autant d’ambition… de dévotion. Elle me portera vers la victoire, ta victoire… et celle de ceux que tu chéris déjà, sans même le savoir.

Tu es tout pour moi, ma sœur… tu es tout ce qu’il me reste….

Ainsi se termine mon histoire. Il ne me reste rien à écrire, tout est dit. Mais surtout souviens-toi, ma chère sœur, que je t’aime... je t’aimerai toujours. Et je n’aimerai que toi.

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