top of page

Xaash: Silence

​

Tout est chaos. Tout est douleur. Tout se mélange et sue la peur. Un flot de pensées, rapides, lourdes et aussi précises que déchirantes pénètre son crâne et refuse de s’en échapper. Elles s’amassent, ne laissant pas son esprit se reposer l’instant d’une seconde. Les flammes embrasent le bois rustique, les cris remuent la jungle morte, les larmes se mêlent à la pluie grise. Le rugissement d’un sabre laser, le grincement d’une dalle de pierre, pire que tout, le jugement des morts. L’instant d’après, un jeune garçon lui sourit, un tout petit être aux cheveux longs. Oui, c’est bien lui. Elle le sait, même si ici rien n’a besoin de logique. Et puis ce son, incessant, qui se répète, encore et encore. Ce cyber-son, froid, cruel et teinté de rouge. Un son n’a pas de couleur, mais ici oui. Puis son cœur se vide et pourtant pèze à présent trois fois son poids. Une boule de plomb, empoisonnant son corps et détruisant ses espoirs. Et… Elle… est là. Sa voix résonne… comme un écho dans la Force, le son déchirant de sa peine, sa terrible douleur… lorsqu’elle comprend. Détruite au plus profond, elle murmure de sa voix brisée, comme si c’était un mauvais rêve qu’elle refusait d’accepter, implorant un autre choix, une once de pitié : « …Non… »

 

Se retournant dans sa couverture, suante et haletante, la pauvre fille est à bout. Ses yeux clos s’agitent, son cœur panique, son cerveau fume, et quand enfin un fracas de tonnerre fait trembler Dromund Kaas, Xaash se réveille.

 

 

Le premier mot qui lui vient en tête est « pourquoi ? ». Pourquoi son esprit ne la laissera donc jamais se reposer ? La douleur, d’émerger d’un monde atroce, de le quitter enfin, pour se rendre compte que sa propre existence, qu’on vient de rejoindre, est belle et bien atroce, mais elle est réelle et constante. Comme le chapitre suivant du triste livre qu’on a laissé trop de temps sur l’étagère, le contexte revient peu à peu. Il ne reste plus qu’à analyser le message du rêve, et attendre que le cruel jour, une fois de plus, se lève.

Xaash n’allait pas attendre quoi que ce soit. Surtout que sur Kaas, le jour comme la nuit s’oubliaient. Ils n’étaient pas bien différents, un brin plus clair pour le jour, peut-être. Elle se leva, s’habilla de sa belle tenue Révanite éternelle, et quitta ses appartements.

 

 

Kaas. Quelle étrange planète. Humide, sombre, chaude et pourtant si bleue. Sa jungle si dense, couverte de lianes, de champignons, de bestioles en tout genre. Son ciel, éternel bal de nuages rythmé par la foudre. Et la ville, moderne, perdue en son centre, échouée comme un vaisseau sur un monde qui n’est pas le sien.

La jeune enfant connaissait bien la ville, mais avait également vagabondé suffisamment dans la forêt pour ne jamais se perdre. Après tout, elle y était née. Son corps avait éclos dans les sables de Korriban, il y a déjà 18 ans, mais son esprit, aussi remué soit-il, avait réellement émergé dans la noirceur de cette jungle, 5 belles années plus tard.

Le début de son cauchemar. Le même que chacun à vrai dire. Tout commence dans les flammes. Ces lueurs chaudes, mortelles, intouchables, qu’elle a observé si longtemps dévorer sous ses yeux le reste de ce qu’elle était. Alors qu’elle était à genoux, ces démons de lumière festoyaient sur les débris effondrés de son plus lourd échec.

La colère qu’elle avait déchainée sur le camp du jedi. La haine éternelle envers le moindre associé. La Force elle-même avait tremblé devant sa fureur, et avait fait se retourner chaque être de la ville vers le même point. Sans comprendre, tous avaient ressenti la perturbation. C’est ce que Zash lui avait expliqué du moins.

Tout cela envahissait son esprit, incessamment. Secouer la tête, cligner des yeux et respirer l’air qui la fuyait n’y changeait rien.

Impossible… d’y… échapper.

 

La zone du Temple Noir. Après une longue marche ruminante, pleine de souvenirs agités, se bousculant les uns aux autres à toute vitesse, Xaash avait enfin rejoint un lieu isolé, perdu, mais emplis d’esprits du passé. Ici, outre les anciens morts, les seules personnes qui pouvaient l’entendre hurler sa rage n’étaient rien de plus que des proies. Des esclaves fous, des pilleurs et des ermites, tous reclus du monde des sith, tous voués à mourir ce soir. Si la jeune femme ne pouvait faire taire le chaos dans sa tête, qui semblait vouloir exploser à tout moment, peut-être pouvait-elle soulager la pression… par le sang. Elle devait trouver un remède, et vite.

Par la passion…

La migraine fumante, la respiration exagérée, le cœur de plomb, le sifflement incessant, les tremblements secs, la tension montante dans ses veines. Elle allait imploser. Tout ça devait sortir.

Je brise mes chaines !

 

 

Sans réfléchir davantage, Xaash fila comme une flèche vers un groupe de travailleurs déments. Ils n’avaient rien fait. Les pauvres esclaves avaient perdu la raison depuis longtemps, et étaient piégés dans une boucle de travail sans but : piocher et creuser, à longueur de journée, près d’une colonne de pierre taillée. Mais rien ne put empêcher la terrible enfant de leur faire du mal.

A peine les armes sith commencèrent à rugir que le premier homme embrassa la colonne face à lui, pressé contre la pierre par une barre de plasma rouge qui ne força pas pour passer à travers ses vertèbres, puis la roche elle-même, le tout en moins d’une seconde. Son torse fumant roula en arrière avant de rejoindre le sol. Le deuxième n’eut pas le temps d’analyser. Son visage avait déjà reçu la gifle mortelle du laser. Son regard étonné mais perdu parmi les morts suivit le mouvement et s’écrasa dans la terre humide. Un par un, parfois deux voire trois à la fois, ils tombèrent sous sa colère. Le dernier membre du groupe, un jeune homme, mourut sur le coup d’une simple poussée de Force ; une simple charge de haine, provoquée par une fillette hurlante, sabres en arrière, tête en avant, suffit à lui ôter la vie. L’odeur de la chair noircie, le bruit du supplice, la sensation de puissance absolue, l’appel du sang…

Lentement, Xaash pencha la tête sur le côté, bouche ouverte, un œil caché derrière son voile sombre, l’autre teinté d’un rouge vif. Le rouge de la Force enragée. Le rouge de la Force déchaînée. Ce n’était que le début. Rien n’avait changé. Le chaos était toujours en elle. Elle ne renonça point.

Un peu plus loin, une autre bande l’attendait. Et une autre, là-bas. Une flopée, de l’autre côté, un groupe plus près des marches, de partout autour du temple maudit, les vivants pullulaient.

La haine entrainant la haine, la jeune sith fit son entrée au bal du carnage.

 

Un homme fut soulevé dans les airs par la gorge, puis balancé sur ses camarades. Un autre reçu un sabre en pleine poitrine. Son collègue chargea, sans succès au retour du sabre. Le suivant se brisa le crâne contre celui de son voisin, dans un fracas long et crépitant. Un fuyard s’envola vers une branche d’arbre et y resta empalé au niveau du cou, se balançant comme un pendu, perdant ses litres d’hémoglobine à flot. Les autres perdirent la vie dans un tourbillon de lumière écarlate et un ouragan d’agonie. Mais plus encore arrivèrent en renforts. Pauvres fous. Lorsque la bête se retourna vers eux, les fixant depuis ses petits yeux brillants et cramoisis, un bras tendu en arrière pour récupérer l’arme sith qui volait encore en tournoyant jusqu’à sa paume après avoir décapité leur ami… il était trop tard. Le bruit sec du sabre contre son gant, les doigts agiles et griffus qui le recouvrirent, la charge instantanée vers leur petit corps frêle. Ce cauchemar suffit à certains pour les libérer de leur envoutement… pour les replonger dans un tout autre sortilège obscur. L’horreur.

 

Il faut du temps pour qu’une vie se développe. Tout commence par un accouchement douloureux, puis une enfance pleine d’amour, un travail rigoureux à l’école parfois, puis un travail, le tout mêlé à des problèmes divers, les aventures folles, de beaux moments, de tragiques leçons, d’agréables vacances, un joli mariage, parfois suivi d’autres accouchements. Une vie reste toujours si pleine d’histoires, et demeure si rêveuse quant à celles qui lui restent à vivre… Rien de tout cela n’effleurait l’esprit de Xaash lorsque chaque corps tombait à ses pieds, tachant de boue et de sang sa robe et ses bottes. Pas même un instant. Cela peut sembler injuste et tragique, froid et irréfléchi, mais toute pensée de la sith berserk était bloquée. Focalisée à un seul endroit. Son propre cauchemar. Et ces morts, reposants yeux grands ouvert dans son sillage, aussi nombreux, âgés et innocents soient-ils, ne pouvaient jamais la hanter. Pas même ce bébé, il y a bien longtemps.

 

Non, ce n’était toujours pas fini. Le carnage prit de l’ampleur. Ces hommes, qui ne valaient plus rien aux yeux de quiconque désormais, se faisaient charcuter, encore et encore. Dans un simple tourbillon la fureur déferlait à présent sur un vieil homme. Le poignet et il cria, l’avant-bras et il hurla, l’épaule et il pleura, la tête et il se tut à jamais, et le ventre, au cas où. Le suivant, un gotal, fut projeté loin en arrière par la violence du coup de sabre, mais se fit attirer vers l’arme à nouveau pour un second coup sur un alien déjà mort. Petit à petit, les gestes se firent avec moins de réflexion, et plus d’acharnement. Leur mort n’avait aucun but, sinon de faire baisser cette chose en elle… ce démon noir qui la séquestrait dans sa propre tête.

Cinq esclaves en fuite perdirent à leur tour leurs têtes. Alignés, ces imbéciles. Lorsque le sabre était loin, Xaash ne le fit pas revenir à elle tout de suite, et le maintint à distance tel un drone, prêt à décapiter quiconque courait autour. C’était trop simple, et il fallut qu’un jeune ouvrier, muni d’un blaster, tire dans l’épaule de la mort elle-même pour attirer son attention.

Lorsqu’elle se retourna, il fit tomber l’arme à ses pieds et se mit à courir, désolé. Xaash tendit le bras vers lui, et le figea sur place. Tremblant, il priait déjà ses dieux et ses ancêtres, mais plus personne ne pouvait l’aider. Il sentait déjà la peur de la mort dans son ventre, la pression de la Force sur son corps, la haine de celle qui l’exerçait dans son dos. Crac ! Son poignet se brisa et le dos de sa main se colla à son avant-bras. Crac ! Deux ou trois côtes perforèrent ses poumons. Crac ! Encore et encore les bruits laids des os qui ploient et cèdent, jusqu’à ce que la boule de chair qui était autrefois un homme, et qui à présent dépassait les exploits des meilleurs contorsionnistes, ne retombe dans la boue, réellement désolée.

L’enfant n’inspecta sa blessure que d’un bref regard. Elle n’avait rien. Le coup l’avait à peine effleurée. Mais un cri différent l’interpella ensuite. Un cri de peine, de colère, non pas de souffrance physique. Un homme, âgé et barbu, sauta sur elle depuis la hauteur d’une statue. Il n’approcha pas sa cible, mais resta figé dans l’air à son tour, au-dessus de la furie bouillante. La douleur l’envahit, lui-aussi, ses boyaux s’agitèrent tels des serpents, la peau de son ventre s’étira comme une gomme, et suivant un dernier gémissement de désolation, sa moitié supérieure rejoignit le cadavre tordu au sol… probablement son fils.

Xaash rappela à elle son sabre qui l’attendait dans les plantes, et se remit au travail. Encore, toujours plus, elle n’était pas soulagée. Les voix dans sa tête ne fatiguaient pas. Elle bondit sur un groupe qui dormait un peu plus bas, sous une tente. Le tissu taché de sang s’enflamma au bref contact de la lame chaude, et la tente, tel un brasier funéraire, éclaira la nuit un court instant. A gauche, un dernier courageux fouillait une caisse à la recherche d’une arme. Il ne put reculer assez lorsque la Force fit s’effondrer sur lui une colonne sith. A l’agonie, le pauvre énergumène crachait ses tripes. Sa tête, ses épaules et ses bras dépassaient seuls de la géante roche rectangulaire. Il implorait la pitié tout en tachant de se dégager lorsqu’en face, une enfant avançait pas à pas vers lui, son sabre laser traçant dans le sol une sinistre tranchée fumante, alignée sur son cou.

 

 

Et puis, vint le silence. Un silence que nul ne put apprécier. Un silence que Xaash, tout comme les morts, n’entendait pas. C’en était fini. Il ne restait plus qu’elle. Elle, la jungle et les cadavres. Une parfaite illustration de ce qu’elle était devenue malgré elle. Mais ce n’était pas ce genre de silence qu’elle cherchait. S’éloignant du petit brasier faiblissant de la tente, Xaash avait échoué à faire taire ses pensées. Son rêve et ses inquiétudes constantes revenaient à la charge. Avançant sur les quelques dalles de pierre qui quittaient le temple et sa cour, son visage était perdu, cloué au sol, concentré sur le son de ses bottes contre la roche. Lorsque son pied se posa sur la dernière dalle du chemin vers la forêt, un léger vertige et un son grave l’arrêta. La pierre était bancale, et venait de pencher légèrement, produisant un grincement lourd mais discret. Et il ne suffit que de cette dalle pour qu’elle se perde, pour qu’elle se laisse avaler dans les sables de son esprit, et par les remords du passé.

 

La dalle secrète. La prochaine vision de son rêve. Ces sabres qu’elle tenait encore dans ses mains, ces armes mythiques et sacrées… n’étaient pas les siennes. Elles lui revenaient, mais à un lourd prix. C’était elle qui les avait prises ce jour décisif. Se faufilant dans la chambre de ses parents, elle avait emprunté les armes de la famille, pour son excursion habituelle. Elle se rappelait encore le bruit de la lourde pierre plate qui, tel un coffre-fort, lui dévoilait un trésor qu’elle admirait depuis si jeune. Tout comme celle sur Korriban avait dévoilé le Conseil Noir. Elle avait beau se le cacher, ses rêves le lui rappelaient. Son cauchemar avait probablement raison. Elle était responsable. Non seulement n’avait-elle pas eu la force de soulever cette fichue poutre et ces blocs de pierre, mais peut-être que ses parents auraient pu éviter le drame… si elle ne les avait pas volés. Et bien que sa propre faiblesse la hantât plus encore, et depuis le début, cette nouvelle idée semblait logique. Peut-être n’auraient-ils pas eu le temps d’aller les chercher, peut-être auraient-ils perdu… après tout l’incident avait été si rapide, elle l’avait entendu… Peu importe, si elle avait été plus grande dans la Force, elle les aurait sauvés. Ça, elle en était certaine. C’était de sa faute, et elle se haïssait pour ça !

 

Fuyant d’abord la douleur et les larmes, la jeune sith fit quelques pas pour rentrer chez elle, mais elle était bien trop enfoncée. Se tenant la tête comme une démente, sans même avoir été touchée par un esprit du temple, sa vue se troubla, ses poumons paniquèrent, son cœur sembla prêt à lâcher… Après seulement quelques mètres, elle laissa tomber ses sabres sur la terre molle, et poussa un long hurlement déchirant. Un cri de rage tout autant que de détresse, tout en levant son visage vers le ciel neutre, les bras tendus sur les bas-côtés. Simultanément, la Force s’échappa de son corps. Suant de ses pores, de sa chair, de partout autour d’elle, une onde destructrice explosa, et décoiffa les arbres aux alentours, laissant comme marque un beau cratère dans la boue, et une sith brisée en son centre.

 

Xaash resta là. Immobile. Les yeux fermés, le cœur ouvert. Le nez pointé vers les nuages. Et enfin, après un long moment, une telle souffrance, et après cette plainte aux astres… peu à peu, sa respiration s’apaisa. Son visage perdit ses rides ; ses muscles, leur tension. Les voix… ralentirent.

 

Une minuscule pointe froide heurta le coin de sa joue ardente. Puis une autre, suivie d’une multitudes de petits impacts humides. La bruine lente, calme et rassurante, venait la consoler. Le ciel, du haut de sa loge, sensible à sa peine, pleurait pour elle. L’adolescente bercée par la pluie se laissa caresser le visage, gardant les yeux fermés, et laissa rouler une larme sur sa joue, elle aussi.

 

Bien que le chaos ait chuté en elle, cette larme n’était en rien un signe de joie. Le déchainement de la Force l’avait soulagée, mais la Force ne l’avait pas libérée. La suite de son rêve tournait encore autour de son esprit, tel un essaim prêt à piquer. Elle laissa la pluie refroidir sa peau, comme une statue de marbre priant le ciel qui grésilla de lumière avant de gronder d’empathie. Enfin, Xaash entrouvrit ses yeux, désormais marqués de rouge à perpétuité. Puis ses lèvres, ornées de ses simples tatouages tranchants, s’écartèrent pour laisser s’échapper une expiration fragile et saccadée. Quelle douce pluie…

 

La pluie. Son frère aimait ça. Bon sang, ce qu’il lui manquait… Elle ne l’avait connu que pendant les trois premières années de sa vie, mais il était si adorable. Si joyeux. Le regarder sautiller à cœur-joie dans une flaque devant la maison semblait si naturel à l’époque. Aujourd’hui… elle donnerait tout pour revivre ces plus simples plaisirs.

Il était blond, les cheveux lisses et soyeux, assez longs pour son âge. Son nez fin, ses joues tendres, ses yeux timides. Comment se rappelait-elle de tout ça ? Elle n’en avait aucune idée. Il était parti si jeune… Un an avant l’incendie. Les sith prenaient sans demander, les parents offraient sans hésiter. Pour l’avenir de l’Empire. C’était aussi pour ça qu’elle avait été élevée. C’était plus qu’un honneur. Mais ce qu’elle avait appris, quelques années avant de partir pour Korriban… Ce son…

Le bruit résonnait encore dans sa tête, comme la voix d’une phobie. Il n’y avait pas de façon plus froide d’annoncer un décès. Un ordinateur… une liste…

Depuis, le jeune garçon venait la visiter quelques rares fois, dans les meilleurs de ses rêves. Assez pour l’empêcher d’oublier les traits de son visage. Qu’était-ce le pire ? Rêver de la dure réalité, ou plonger un instant dans le paradis, pour en émerger détruite ?

 

La jeune femme resta sur place quelques minutes de plus, puis s’éloigna du centre du petit cratère. Ses sabres maudits quittèrent la boue pour rejoindre sa ceinture, et la pluie s’intensifia légèrement. La sith revint sur ses pas. Elle gravit à nouveau les escaliers de granite et avança sans crainte vers le temple. De loin, l’immense structure sombre ressemblait à une montagne, taillée un peu plus droite. Ses formes simples, ses serres pointées vers le ciel, ses marques anciennes… C’était un véritable palace du malheur. Une forteresse de la désolation.

 

Ce n’était pas un hasard. Le destin jouait avec son cauchemar, le lui rappelait à chaque regard. Une forteresse… comme la promesse de Jahnelthra.

La princesse de glace avait disparue. Le petit chaton blanc qu’elle avait rencontré dans les tombeaux avait filé. Celle qu’elle avait apprise à connaître essentiellement durant les deux dernières années à l’académie, et qui était parvenue à explorer sa personnalité mieux que quiconque… s’était envolée.

Elle se rappela le pacte qu’elles avaient conclu. Devenir sith, toutes les deux, coute que coute. Xaash avait réussi à partager son rêve avec une étrange créature venue d’ailleurs, et d’une ambition originale différente. Elle qui voulait partager une forteresse… Les moments forts qu’elles avaient vécus ensemble. Les épreuves qu’elles avaient surmontées. Les secrets qu’elles avaient partagés. Les histoires légendaires et les découvertes splendides. Elles s’étaient mutuellement… changées. Toutes les deux. Acceptant, sans trop adopter, l’étrange différence de son alter-ego. La lumière aveuglante de l’une, contre les ténèbres brumeuses de l’autre. Quand elle se remémorait leur brusque rencontre, il arrivait à Xaash de sourire. Si elle avait su à l’époque les douces conséquences de sa miséricorde… elle aurait peut-être porté le coup de grâce. Par peur d’essayer… ou par refus. Cette fille… était devenue importante pour elle. Une étrange amie. Non… plus que ça. Troublée, le mot hésitait à faire surface dans ses pensées, il lui échappait. Son sens, plus que le mot même… Était-elle parvenue à ce stade ? Pourquoi son cœur était-il si lourd ?

…Sœur.

Sa sœur… Jahn… l’avait quittée. Suivant la dernière et douloureuse étape des épreuves décisives de Korriban, Jahnelthra lui avait fait ses adieux, il y a quelques mois.

Devenues sith, les deux jeunes femmes n’avaient plus rien à apprendre des sables rouges. Et malgré toute leur amitié… tout ce temps passé… Xaash avait une destinée, et l’échanie en avait une autre.

Son petit esprit rêveur ne l’avait pas trahie. Voyager, découvrir, exploiter, s’enrichir… Rien de surprenant. Mais son avenir était si loin de Kaas. Ses ambitions… si loin d’elle…

Jahnelthra avait choisi des mots simples mais purs : elle espérait que leurs chemins se recroisent un jour. Pour Xaash l’incertitude était insoutenable. Pourtant, la présence du chaton des neiges était-elle compatible avec les ambitions d’une sith aussi puriste ? Son abandon était peut-être nécessaire au fond. Et pourtant, il la terrifiait. Ce qu’elle ignorait, c’est qu’à chacun de ses cruels abandons, le matou revient toujours.

Voilà la raison. Voilà pourquoi son rêve l’avait menée jusqu’ici. Pourquoi son esprit ne pouvait être apaisé. Pourquoi son cœur était si vide, et pourtant si pesant. Malgré toute sa fierté de sith, malgré sa noirceur infinie, malgré sa destinée, la vérité l’emportait toujours…

 

Elle lui manquait.

Elle lui manquait tellement.

 

Son large sourire radieux, ses histoires folles, ses bêtises adorables, ses cheveux éclatants, ses yeux envoutants, ses gestes délicats, sa voix gracieuse, ses doux murmures, ses étreintes furtives, mais chaudes et relaxantes. Tout ce qui n’aurait été que nuisance auparavant, elle voulait le récupérer. Cet amour, ce bonheur qui lui avait été arraché par le feu et la violence il y a longtemps, était irremplaçable… mais Jahn… l’était surement aussi.

 

Marchant toujours à pas lents vers le temple, Xaash croisa à nouveau les témoins de son œuvre diabolique. Leurs regards vides, leur sang répandu par les eaux, leur calme épouvantable, leur chaos figé par le temps.

Le silence régnait en maître dans la cour, et l’enfant de la jungle faisait un avec ce qui l’entourait. Pourtant, le silence… aussi vide puisse-t-il sembler, était chargé de paroles. Xaash avait depuis longtemps maitrisé ce langage muet et mélancolique, que peu de personnes pouvaient comprendre… Jahnelthra, parfois… lorsqu’elle tendait l’oreille.

 

Silence, mais jamais néant.

 

Gravissant les dernières marches éclairées par les deux lunes bleues et les planètes voisines, Xaash avança dans la gueule du grand Temple Noir.

 

 

 

 

 

Trois mois auparavant….

 

 

Les braseros crépitent, les fantômes noirs dansent sur les murs chauds, et Elle est là. Elle est victorieuse, une fois de plus. Elle gagne toujours. Sous ses pieds un pauvre acolyte gémit de douleur. Son genou est sectionné, son fluide vital se répand sur le sable pâle de l’arène enfermée. Une arène faite pour la victoire, une arène souterraine, l’arène de l’épreuve terminale de Korriban.

Dans sa main le sabre laser grogne d’impatience. Mais elle ne lui cède pas ce plaisir. Il peut encore râler, il sera jeté aux tuk’ata bien assez tôt pour son échec. Si près du but… si près de devenir un sith…

 

Un peu plus loin sur l’arène circulaire, ses collègues, ses rivaux, les autres élèves de sa promotion embrassent le sable. Quelques-uns sont toujours vivants… ils essayent de retenir leurs gémissements, eux. Les autres, les cadavres, sont éparpillés. Un pied mord la ligne du cercle, mais rien n’y est attaché. Un bras, non, deux, sont sortis de l’arène depuis longtemps. Les propriétaires sont morts, leurs carcasses nourrissent les bestioles au-dehors. Ils ont affronté la jeune femme en premier.

Assis autour du cercle de mort, les surveillants, revêtant leurs bures cérémoniales, assistent et jugent leur dernière création, leur meilleure élève. Fière, la créature rengaine, et attend la finale, le couronnement, ce pourquoi elle s’est battue. Son nouveau titre. Mais rien ne vient… puis la porte noire s’ouvre. Le combat n’est pas fini… Il reste un adversaire… Une cible se dresse entre la fille des sables qu’elle est, et la femme qu’elle doit devenir.

 

Et à cet instant… elle comprend. Son cœur lâche. Sa main tremble et le sabre laser manque de glisser. Non… ils n’ont pas le droit. Ils ne peuvent pas lui faire ça ! Ses yeux s’humidifient, ses lèvres tremblent comme jamais. Elle refuse d’y croire. Ce n’est qu’un mauvais rêve de plus…

Pas elle… pas comme ça ! …Pitié !

Son adversaire avance élégamment dans l’arène. Son amie, sa tendre amie, celle qu’elle aimait tant, celle qui lui restait, ne s’arrêta qu’une fois la bordure du cercle franchie. Son visage est un reflet du sien, sa peine un miroir de son chagrin… même si elle est la seule à le percevoir.

La jeune enfant ne s’arrête pas de trembler lorsque le destin semble s’établir contre son gré face à elle. Sa bouche vibre, sa respiration se perd, et tout ce qu’elle parvient à faire… tout ce qui sort de sa personne… et qui atteint sa sœur quelques pas plus loin… tout ce que sa voix laisse échapper… ce simple mot, parle bien plus que toute autre parole. C’est le refus, la douleur immense, la peine éternelle, les larmes de son cœur fracturé, face à ce destin ironique. Un simple mot, qui dans ce langage du silence traduit tant. Un être brisé, une âme déchirée, face à l’identité de son ultime adversaire, contre qui elle allait devoir se battre, jusqu’au sang et aux larmes :

 

« …Non… », pleura l’échanie.

2018) Xaash (Eva Green).jpg
bottom of page