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Veckh: Bêtes de Taris

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Le destin est une leçon surgie du futur. Une morale sans début, au milieu flou, et d’ordinaire, au climax bien surprenant. Il est une métaphore que peu de gens comprennent, ou une réalité que la majorité interprète, avant même d’assister au dénouement. Le fleuve de chaque être, quel que soit le chemin qu’il emprunte, qu’importe le nombre de barrages ou de canaux bâtis par les vivants pour l’en empêcher, se répandra tôt ou tard dans la mer choisie par la Force. Car le temps est le seul véritable infini, et tout peut se produire, et ainsi, se produira.

 

Dans la mythologie des Rattataki de Dathomir, le gardien du destin est Olhdjäagnäel, un animal spirituel assez unique, le seul de son espèce. Son nom descend de ‘Olh’, signifiant ‘Grand’, et de l’union des mots ‘Djäag’ et ‘Knäel’, respectivement ‘Silencieux’ et ‘Savoir’. Il est décrit comme un noble éléphant géant, sans yeux, dont les oreilles épousent une forme semblable aux ailes de chauves-souris, et dont les défenses se prolongent dans son crâne pour émerger en bois de cerf au sommet de sa tête.

La plupart des bêtes qui partagent son habitat étant redoutables, Olhdjäagnäel établirait un équilibre à lui seul, de par sa divine nature paisible. Du haut de ses soixante pieds au garrot, nulle créature, pas même le plus féroce des rancors, n’ose s’attaquer à ce grand-père de la jungle écarlate. Même les arbres crochus de la planète mystique ploient devant lui pour ne pas le faire trébucher. Lorsqu’il se déplace, la terre ne tremble pas, mais un épais brouillard cinabre l’accompagne.

Pourtant, dans toute sa splendeur, Olhdjäagnäel porte un sombre fardeau, car il sait tout. Le passé, le présent, et l’avenir de chaque mortel. Et comme lui est intemporel, sa propre destinée est d’entendre l’ultime expiration de chacun de ses protégés. A tous il connait leur naissance, leur histoire et leur déclin, mais il ne peut rien dévoiler. Alors il marche dans la brume, cruellement conscient et désespérément neutre, veillant en silence à ce que l’encre coule d’une pure clarté dans l’histoire éternelle du destin.

 

 

« Relève-toi, sac à droch ! »

 

Face à un las crépuscule, onze années après la funeste chute de la capitale républicaine sous la botte de Malgus et la colère d’Angral, un petit filet d’hémoglobine vint tacher le sol de Taris. A côté, étalé sur le dos, se trouvait un jeune cathar. Une douzaine d’années, le pelage châtain clair, les yeux d’ambre et une tignasse brune comme un acajou de Naboo. Pourtant, il était là, allongé face aux étoiles, un sombre fluide fuyant son petit nez écrasé lui aussi par la fureur d’un Empire cruel.

 

« Allez… me fais pas répéter. Qu’est-ce qu’y s’passe, tu vas chialer ? »

 

Entouré par ses camarades impériaux, l’officier spécialiste Weylex Veed se penchait vers l’enfant, un vil sourire aux lèvres. Ce sourire carnassier qu’un nexu présenterait à un raton de Cholganna. Puis il l’effaça aussitôt, fixant sa proie avec de grands yeux ronds, et bondit d’un pas en avant. Le jeune garçon bondit également, sur ses propres fesses, et ferma les yeux d’une telle force qu’il aurait pu broyer une noix takhal de ses paupières. Ses bras tremblants au-dessus de sa tête, ses jambes claquetant au rythme de son cœur, le jeune félin aurait tout fait pour surmonter cette terrible épreuve. Mais il était là, face aux conséquences de ses actes, seul, et désemparé. Dévoré vivant par la peur.

 

« La prochaine fois que tu me regardes dans les yeux, charogne d’alien, j’te couperai tous les orteils… », menaça l’humain en dégainant un petit karambit noir depuis sa ceinture. Au son aigu du lutetium frottant le fourreau, le petit cathar comprit que la lame-griffe lui sectionnerait même les os en très peu d’effort. Mais lorsque les camarades de l’impérial s’approchèrent lentement, souriants eux-aussi, leurs mains en avant, la pauvre victime comprit également que l’officier Veed n’avait pas fini sa phrase.

« …Mais ce soir je vais me contenter d’un seul. »

 

A ces mots, la bande d’impériaux se lança sur le félin, leurs macabres gloussements étouffés par ses hurlements de panique. Comme un fils se débâtant contre les chatouilles son père, le jeune chaton se tordait dans tous les sens et criait à s’en arracher la gorge. Ses bras tentaient de vaincre par la force, ses jambes par la rapidité, mais tôt ou tard, même lui savait qu’il ne pourrait y échapper. Ils allaient le maitriser, ils allaient lui faire du mal, et personne ne s’y opposerait. Ici, sur Taris, à la Station de Commandement de la Tour, personne n’aimait les aliens, et surtout pas les cathar. Entre les multiples pattes noires et bien cirées qui l’entouraient, il pouvait le voir. Les hommes de l’Empire riaient, ou bien travaillaient sans trop prêter attention. Même le général Farvin et le capitaine Pandorr, qui prenaient une boisson chaude ensemble, observaient la scène comme un simple divertissement de leurs troupes. Alors, épuisé de ses vains efforts, et dégouté de la cruauté humaine, l’enfant ferma les yeux tandis que l’infâme Weylex lui retirait une chaussure.

 

 

« Ça suffit comme ça. »

 

Une main vint se poser alors sur l’épaule de l’officier, et toute la troupe se figea, laissant retomber l’enfant au sol. Une énorme main, tout aussi métallique que la voix qui venait de parler avec autorité. Veed se retourna, et releva la tête, un air provocateur sur le visage.

Face à lui se trouvait celui que l’avant-poste surnommait la "Bête Mandalorienne". Un grand et mystérieux mercenaire, recouvert d’une armure classique de Mandalore, bleue, grise et noire, dont certaines pièces perdues avaient été remplacées par des plaques d’armure diverses de soldat de l’Empire ou de la République. Et bien qu’il parlât peu, tout le monde savait que derrière le casque de beskar se cachait un alien. C’était ce qu’il avait impudemment rempli dans son contrat, à la case "race". Mais quiconque avait quelque chose à cacher répandait des rumeurs.

 

« Occupe-toi de tes affaires, mandalorien. », ordonna simplement Weylex, avant de se détourner en dégageant la main de son épaule.

 

« J’ai dit… ça suffit. », répéta le colosse qui s’avança d’un pas insistant.

 

« T’as pas d’ordres à m’donner. Repars dans ta jungle bouffer des tachs ou j’sais trop quoi… »

 

Le guerrier géant vint serrer à nouveau l’épaule de l’officier, inspira en grognant comme un tigre au travers de son casque, puis rugit d’une puissance phénoménale. Il fit reculer la bande de quelques pas, mais pas Veed. Ce cri, même déformé par le vocodeur du casque, venait de confirmer les rumeurs.

 

« Alors t’es l’un des siens… », marmonna l’officier.

 

Soudain, l’impérial se retourna, sa petite lame en main, et plongea vers le ventre de la Bête… mais elle fut plus rapide. Le mandalorien avait vu le coup venir. Il saisit le poignet de son agresseur, et le broya sans trop d’effort. Lorsque le cri de douleur de l’impérial ricocha sur les murs de l’avant-poste, les gradés n’eurent plus d’autre choix que d’intervenir.

 

« Assez ! Messieurs, retournez à vos obligations ! », aboya le Général Bourom. « Vous, mandalorien, je suis sûr que vous avez mieux à faire. Gardez votre courroux pour la République, c’est pour ça que vous avez été engagé ! …Maudits cathars… Quant à vous, Veed, dans mon bureau. »

 

L’officier effronté eut beau répondre, Bourom se répéta, plus lentement et plus grave que la première fois. Quand il vit ses camarades se disperser, le cruel impérial donna un dernier regard méprisant aux deux bêtes sauvages. D’abord au petit, qui baissa les yeux instinctivement, puis au colosse en armure de beskar, stoïque comme la roche.

 

« Toi… t’es un chat mort. », promit-il, avant de suivre son général, sa main serrée contre son torse.

 

 

Lorsqu’ils furent seuls, le mandalorien se pencha vers l’enfant, et l’aida à se relever.

 

« Merci mon frère… C’est le destin qui vous envoie. », remercia le jeune esclave.

 

« Balivernes. Ce n’est que la justice. », contredit la Bête à la voix de métal.

 

Une fois debout, l’enfant faisait la taille de son sauveur accroupi. Il s’approcha, et colla son front au casque froid de son confrère, comme le font les cathar pour remercier humblement les leurs. Son petit nez plissé répandit un fantôme de buée, ainsi qu’une petite tache de sang sur la sombre visière polarisée. En retour, le mandalorien pinça tendrement le menton de son protégé.

 

Depuis l’éboulement de la planète-ville sous le poing de Dark Malak, Taris n’était plus qu’un cimetière de sang et de larmes. Fraichement reconquise par les séides de l’Empereur, de nombreux affrontements y prenaient toujours place. Avec pour mission de repousser l’effort de reconstruction de la République, les hommes aux commandes de Dark Gravus et du moff Hurdenn combattaient non seulement des soldats entrainés, mais aussi une faune maudite, quelques pirates, et bien sûr, les autochtones cathar.

Non… personne n’aimait plus Taris. Les maladies les plus obscures s’y tapissaient, et le cœur des hommes se fanaient. Mais certaines rares lueurs persistaient dans les ténèbres. La solidarité d’une espèce oppressée, le besoin de justice fraternelle, ainsi que l’admiration face à une âme pure. En effet, à quelques mètres de là, sur une plateforme élevée de l’avant-poste, une élégante silhouette pâle avait quitté sa tente et son travail, scrutant cette lueur dans la nuit, non sans une certaine curiosité…

 

 

 

 

La nuit. Royaume macabre sur lequel l’effroi règne en maître. Un si bref instant, pourtant moitié de l’infini. Si opposé au jour, alors que dans l’espace, jour et nuit ne font qu’un à perpétuité. Il n’y a que sur une planète que de telles futilités persistent, et de toutes les planètes, nulle ne sait mieux invoquer la nuit que Taris.

Le même soir, au milieu de la nuit la plus sombre qui soit, le destin, une fois de plus, allait faire couler son encre par les pores blancs de l’obscure voute bleutée. Et pas même l’aînée des quatre lunes n’étincelait assez pour empêcher l’encre de plonger droit vers le fond de ces pages.

 

Un lointain jappement de ferrazide, le murmure des feuilles mortes, le glas d’une centaine d’âmes égarées, corrompues, transformées. C’est dans cette nuit que la Bête Mandalorienne traversait calmement la Cité Naufragée, lieu tragiquement légendaire pour les voraces historiens de la Guerre Civile des Jedi. Non loin des restes de la Flèche d’Endar, consumés comme chaque signe de civilisation Tarisienne par les veines de la jungle renaissante, le grand guerrier marchait droit vers le nord-est.

Cela faisait vingt minutes qu’il avait quitté la Station de Commandement de la Tour. Encore un peu plus loin, et il attendrait le centre Dynamet, un cimetière médical réputé d’antan pour avoir élaboré un remède pour la Maladie de Cathington. A sa ceinture, l’animal férocement placide gardait son bloc d’annonces, depuis lequel il venait de recevoir une mission prioritaire : "Prestement récupérer le cadavre d’un messager impérial, mort dans l’exercice de ses fonctions près d’un large égout ébréché. Coordonnées Xesh -540, Yirt -145". Il devait probablement transporter un message hautement confidentiel, ou peut-être un nouveau traitement médical. Du moins, c’est ce que le Mandalorien solitaire devait se dire, car la vérité était bien plus tragique.

 

Lorsqu’enfin le traqueur flaira le cadavre, qui reposait tout près d’une pente menant droit dans le fossé de la grande canalisation ouverte, il s’approcha avec précaution. Le corps était là, frêle, face contre terre dans une herbe noire de sang, ses entrailles répandues autour de lui. Les terreurs pâles de Taris, sans doute, se dit le mandalorien. Il s’accroupit, posa son blaster H-3ZX sur le sol, et inspecta cette fresque de carnage. Mais quand il retourna le macchabée sur le dos, il fut frappé de stupeur.

 

Le gamin ?…

 

Et puis, ce fut un tout autre choc qui le heurta ensuite, à l’omoplate droite. Le cri strident, perçant, brûlant du plasma.

Le guerrier hurla brièvement, puis chuta dans le fossé, roulant le long de la pente glissante de terre et de boue, pour se fracasser cinq mètres plus bas, dans les eaux putrides de l’égout.

Il fut peut-être sonné quelques secondes, et lorsqu’il poussa sur ses deltoïdes pour se relever, il s’écroula dans la douleur. Son épaule tout entière fumait sous son armure comme un vieux podracer. Alors il roula sur le côté, et se redressa péniblement à l’aide de ses abdominaux. Il entendit bien vite ces rires si familiers, si mesquins, si idiots, pour ensuite apercevoir le visage de Veed, en haut de la pente, tenant fièrement un fusil blaster sur son épaule.

 

« Viens m’achever comme un homme, serpent ! », insista le mandalorien à la voix détraquée, en se relevant. Son casque avait dû prendre un mauvais coup lors de la chute.

 

« Naaah… je sais que l’honneur est primordial chez vous, les mandos… mais ici, il vaut moins qu’un gallon de ma pisse. »

Les rires des confrères de l’impérial suffirent à faire grimper la température à l’intérieur de la carapace de beskar. La Bête aurait payé cher pour un blaster, le sien étant resté en haut. Tout ce qu’il avait sur lui, c’était un couteau, et malgré qu’il ait appris maintes fois à s’en servir, le lancer n’était jamais son fort. Quant au temps de grimper… il serait abattu vingt fois.

« Te leurrer dans ce trou à rat a été un jeu d’enfant, cathar. Tu sais ce que tu m’as fait perdre comme grade ?... », demanda le désormais soldat de deuxième classe Veed. Il tira un coup de blaster aux pieds de sa nouvelle victime, qui bondit sur place.

« …Comme salaire ? », continua-t-il en tirant un deuxième coup, que le mandalorien esquiva exagérément.

« …Comme respect !? », hurla le pauvre Weylex, qui fit taire les ricanements de ses complices, alors que le troisième coup partit. Cette fois-ci, le guerrier stoïque en contrebas décala uniquement le bout de son pied pour éviter le plasma. Son poing se serra lorsqu’il repositionna sa botte sur la boue fumante, comme pour éteindre une cigarette. Il grogna à nouveau, cette fois comme un lion-roc de Zaloriis prêt à tuer.

 

« Viens te venger… », proposa une dernière fois la Bête de beskar au fond de son gouffre.

 

« Je crois que je vais plutôt rester là, avec les potes, et laisser Bertha faire le sale boulot… », déclina l’humain en se nettoyant les ongles.

 

Comme répondant présent à son appel, quelque chose dans le noir fit trembler le sol, là-bas, dans le tunnel de l’égout. L’obscurité remua, l’eau putride frémit, tandis que la vie elle-même détournait le regard. Au plus profond de la terreur des hommes, quelque chose s’était éveillé. Quelque chose de grand, d’affamé, quelque chose sans âme… et sans yeux. Le fléau de Karness Muur lui-même.

 

« Erfh… C’est vraiment mon jour de chance. », soupira le désormais petit alien, face à la monstrueuse rakgoule qui plongeait lentement dans la lumière renaissante de la lune perçant enfin les nuages.

 

Instantanément, la créature fusa à travers le canal, droit vers lui. Le guerrier agile roula sur le côté, noyant sa douloureuse blessure dans les eaux infectes. La sensation immédiate lui arracha un cri, si bien qu’il finit sa course à nouveau face immergée. Les toxines et bactéries de l’égout lui dévoraient l’omoplate de l’intérieur comme de l’acide. Lorsque sa tête refit surface, ses yeux ébahis se serrèrent sous son casque. Trop tard, la bête colossale acheva sa seconde charge avec succès, frappant sa victime tel un reek. Le mandalorien s’envola sous les rires de Veed et de ses complices, et ne toucha terre qu’au fond du tunnel. Pour les impériaux, le spectacle était fini. Et bientôt, pour lui aussi.

De sa position, il pouvait voir la silhouette déchaînée de la mort sous sa forme animale, gonflant dans un cercle de lumière à mesure qu’elle cavalait vers lui. Tout autour, le noir et la puanteur, les cadavres et ossements reposaient, funestement figés depuis des mois, attendant leur prochain convive. Sur lui, l’ombre de l’unique, la véritable Bête de Taris, s’immobilisa. La chose de l’enfer, de la taille d’un gundark, huma son repas en salivant abondamment. Ses dents semblaient avoir absorbé les lueurs de la lune, ses muscles la force de ses victimes, les longs pics sur son dos et ses coudes tranchaient l’air à chaque respiration. Et ce regard vide… sans yeux, mais pourtant là, hypnotique, avide à l’idée de prendre une vie de plus.

 

Le guerrier en armure bleue dégaina de sa main gauche sa seule arme, et la pointa vers la rakgoule : son simple petit canif. La créature à quatre pattes ne se fit pas attendre, et croqua le bras qui lui était offert, tout entier. Le mercenaire tenta d’étouffer son cri, en vain. Il pouvait sentir les crocs lui griffer les os, sa chaire se déchirer, son biceps se flétrir, nourrissant l’affamée de son sang. Et le pire… la maladie – non, la malédiction – qui infiltrait son corps, le damnant aux profondeurs de l’oubli, à une mort dans le déshonneur. Mais il résista. Ses tendons étaient toujours intacts, ses doigts en vie, sa force et sa détermination, son envie de vivre, ne l’avaient pas encore quitté.

Dans un simple mais dolent geste, il entailla le palais de la bête de son couteau. Elle rugit en cabrant en arrière, et libéra son bras. Il profita de l’instant pour essayer de s’échapper, sans trop se préoccuper de l’état de son membre, suant rouge et pendant vers le sol. Mais les redoutables mâchoires se refermèrent à nouveau sur lui. Il trébucha dans la vase, gémissant avec force en sentant son mollet écrasé par les crocs vicieux. Alors la rakgoule remua la tête, et sa victime avec. Puis rapidement, elle le lança en l’air, et le rattrapa, cette fois-ci en mordant ses deux jambes. C’est à cet instant que le guerrier, aussi redoutable soit-il, calcula qu’il ne pouvait que perdre. Entre ses beuglements puissants et les gesticulations sadiques du monstre, il ne lui restait plus de membre intact. Pourtant sa main gauche, encore tétanisée, serrait son couteau comme lui s’accrochait à la vie. Mais bien vite ses pensées ne suffirent plus. La rakgoule le frappait, encore et encore contre le sol, comme une panthère des sables jouant avec sa proie, déchirant à chaque coup un peu plus ses cuisses. La fin était proche, il en était certain, et donc il ferma les yeux, consumé par la nausée.

 

Il se réveilla quelques secondes plus tard, à nouveau au milieu des ossements. Au début, il ne sentait plus son corps sous son armure. Mais peu à peu la douleur revint à la charge, tout comme la bête qui l’avait lâché. Il laissa sa tête reposer en arrière, épuisé. A quoi bon ? Même s’il gagnait ce combat, il perdrait le prochain. S’il n’était pas dévoré par Bertha, il le serait tôt ou tard par sa malédiction. Une simple morsure, une simple griffure, et l’on était sûr de finir le reste de ses jours à se repaitre des siens sous la forme d’une des catins de Muur. A moins de trouver un remède bien vite, mais le bruit courait que la maladie évoluait plus vite encore que les recherches. Les vaccins de l’Empire ou de la République n’étaient efficace qu’envers une ou deux générations de rakgoules. A la suivante, il fallait tout recommencer. Et puis, à l’évidence, dans ce trou perdu, face à la mère de la nuit, il était bien loin de tout centre médical. Tout espoir était perdu.

Et c’est alors que le mandalorien, qui ironiquement ne croyait pas à la destinée, posa ses yeux sur un simple petit objet, perdu parmi les cadavres. Un cadeau du destin lui-même, son deus ex machina. Il s’en suffit d’une petite sphère d’acier et de technologie pour que la toute-puissance du guerrier honorable puisse le regagner. Sans réfléchir davantage, il saisit sa chance, et pressa le bouton du détonateur thermal. Lorsque la bête sans visage venait de donner l’impulsion pour son ultime saut, il lança l’explosif droit dans la gueule ouverte de la créature. Il se déporta au dernier instant pour éviter le monstre, et tandis que la géante mâchoire écrasa les os sur lesquels il reposait une seconde auparavant, le guerrier sauta à cheval sur la tête de la rakgoule. Lorsqu’elle décida de cabrer, il serra ses deux puissants bras autour de la tête, et les ancra sous la mâchoire inférieure, en y plantant son canif. La géante Bertha de Taris eut beau se débattre et secouer la tête, mais le toréador en armure bloquait sa gueule en position fermée, scellant irrévocablement le détonateur à l’intérieur. Alors que le sang de ses bras coulait tel un ruisseau sur les narines de la rakgoule, et que le requiem crescendo du détonateur sonnait, la Bête Mandalorienne rugit au travers de son casque. Le hurlement bestial, semblable à celui d’un wampa cette fois-ci, fit frissonner les impériaux au-dehors, qui sautèrent dans l’herbe, mains sur la tête, quand la détonation retentit.

 

 

 

 

Une main de beskar, sanglante, fumante, suant le supplice, agrippa l’herbe au-dessus de la pente du canal, quelques douloureuses minutes plus tard. Au bout de ses forces, le mandalorien se hissa hors du canal, puis se laissa tirer par les piètres spectateurs de son atroce combat. Son armure manquait la moitié de ses plaques, son casque fondu à la visière opaque le rendait pratiquement aveugle, la plus grande part de ses muscles vibrait individuellement et ses poumons lui suppliaient de les vomir hors de son corps endolori. Et pire que tout… il avait été mordu par ce qui ne doit jamais mordre. Condamné, et incapable de résister davantage, il fut vite trainé à genoux devant l’infâme Weylex Veed.

 

« Messieurs, tout notre respect… à Bertha, et au vaillant cathar qui l’a réduite à tout jamais au silence… malheureusement mort lui aussi avant d’avoir pu lui porter un toast digne de ce nom. Quel dommage… », annonça l’impérial, qui applaudissait de façon théâtrale en se rapprochant de son nouveau jouet vivant.

 

Le guerrier entendait les pas de son nouveau tortionnaire, mais aucun de ses bras, retenus par les impériaux, ne pouvaient l’aider. Son corps flasque semblait l’avoir quitté. Seul le grognement de la bête qu’il avait été râlait encore au plus profond de lui. Le grognement du mystérieux mercenaire cathar, de feu la fameuse… Bête Mandalorienne de Taris, dont la légende allait prendre fin ici, à l’instant.

 

Veed s’arrêta devant lui et posa ses doigts, encore tachés du sang noir du jeune esclave, sur le bas du casque cobalt. Ses sbires ricanaient d’impatience, et Weylex fit durer le suspense, comme tout être sadique se doit. Il attendit le soupire capitulant de sa victime, soumise comme face à un bourreau, et d’une traite, retira le casque…

 

 

« Eeeh ?… Mais t’es un humain !… », s’étonna alors Veed, tandis que de longs cheveux blancs tombèrent sur le visage baissé du guerrier.

 

« Pas exactement… », sourit en coin la Bête dont les sombres paupières encore fermées cachaient des iris blancs comme la lune.

 

 

Le guerrier tenta alors de s’élancer en avant, rugissant comme un démon sous la peau d’un homme. Son cri, bien que beaucoup plus humanoïde qu’avant, sans son casque à vocodeur modifié, ressemblait à celui… d’un ours. Veed bondit en arrière, puis trébucha, mais la bête était sous contrôle, et un bon coup de crosse suffit à l’immobiliser.

 

« Ça va comme ça… Tenez-le bien les mecs, j’vais lui couper les choobies. », ordonna ce dernier en se relevant. Il s’avança, dégaina son précieux karambit, puis…

 

CRAC !

 

Dans un petit « Huk ! » de stupeur, le tortionnaire se figea sur place, comme une statue. Son corps tout entier ruissela tout à coup de sueur, tremblant sans aucun contrôle sous les regards perplexes de ses camarades. Ses yeux, ronds comme des balles de huttball, semblaient avoir vu une armée de fantômes. Et puis, sur ses joues pâles, coulèrent deux longues larmes de sang. Le cadavre sur pieds s’écroula sur lui-même comme un vieil arbre, laissant place à une fine silhouette dans les ténèbres, quelques pas plus loin.

Les impériaux lâchèrent leur souffre-douleur à l’instant, et reculèrent. Leur chair moite givra alors que de l’enivrant voile de l’obscurité se dessinaient les resplendissantes courbes d’une femme. Une ombre élégante, s’approchant tel un mirage dans le noir. Elle était vêtue d’un exquis bedlah : sa robe améthyste et son haut mêlant en quelque sorte une écharpe à un soutien-gorge, contrastaient terriblement bien avec le teint de sa peau blanche comme une morte. Sa gorge, son menton, ses joues et ses orbites étaient décorés des sombres marquages d’un temps révolu ; d’une encre, noire aux reflets bleu nuit, d’un monde lointain. Deux paires de petites flèches équilatérales argentées arboraient ses oreilles, elles-mêmes arborant un crâne aussi lisse que le marbre poli. Ses hanches souples ensorcèleraient quiconque y poserait les yeux, et dans sa main droite, se tenait un instrument de mort. Un outil symbolisant le pouvoir aussi bien politique que physique et spirituel. Et quand la poignée de métal, ornée de trois baïonnettes à l’avant et d’une dent de rancor à l’arrière, cracha une lame de kyber fuchsia au revêtement écarlate, une paire d’iris rouges comme l’enfer embrasèrent la nuit.

 

Le pauvre alien en armure releva faiblement la tête pour contempler la majestueuse sith qui venait de s’interposer. Sa vue se troubla lentement, et il s’affaissa à nouveau dans l’herbe. Il put entendre les quelques stridulations de blasters, et leurs ricochets, brutaux mais harmonieux à la fois, suivis du fatal fracas de la Force enragée. Des coruscations pourpres déchirèrent l’obscurité, un éminent tonnerre brisa le temps givré, et une âme enflamma sa mue tel un phénix endiablé pour rejoindre les siens au royaume des oubliés.

Il n’en restait plus que trois. Et la silhouette ne pardonna pas. Déviant de son sabre laser les quelques tirs hésitants, la femme d’un autre monde manœuvrait le Shien gracieusement. Son sceptre ardent virevoltait comme un éventail de danse, sa lumière trainant dans son sillage comme un long voile rose. D’une parfaite et pure élégance, fluide, simpliste, mais ample et grandiose.

Les soldats reculèrent, mais atteignirent vite le bord de la pente menant au canal. Ils pouvaient plonger, ou faire face, mais bien que nul ne connait réellement sa destinée, les hommes impurs se mirent malgré eux à soupçonner leur épilogue funèbre. La cadence de leurs futiles décharges ralentit, puis la femme blanche projeta sa main en avant. L’homme au centre se raidit, puis fila comme une flèche, attiré comme une aiguille par un aimant, droit vers le sabre laser. Sa tête tourbillonna vers le sol pendant que le reste de son corps s’estompa dans le noir, loin derrière. Aussi redoutable qu’infaillible, la forme du rancor, liant la Force à la lame de son guerrier, fit une victime de plus.

Le pénultième impérial fut soudain saisi d’un surplus de courage. S’accrochant à son blaster à vibro-baïonnette, il hurla en fondant sur la femme pour passer au corps-à-corps. En dépassant le mandalorien, une force invisible le fit tomber en arrière, le clouant au sol. Sa gorge s’écrasa sur elle-même, enfonçant sa tête bleuâtre dans la terre molle. Enfin, quand la sith passa à côté de lui sans même le regarder, une ultime décharge, sèche mais fracassante, grilla son cœur sur l’instant.

 

« P-p-pitié ! », balbutia le dernier soldat, avant qu’une idée sordide lui vienne en tête. Il laissa alors tomber son arme, se jeta sur le mandalorien semi-conscient, et pointa un couteau sur sa jugulaire. La silhouette s’arrêta net.

« Reculez ! Sur l’honneur de l’Empereur, reculez !… Où je lui bousille la gorge ! », menaça le jeune humain, tout en se reculant accroupi tant le mercenaire était lourd à trainer avec lui.

 

Le pauvre garçon ruisselait plus encore qu’un vaporateur défectueux. Il avait fait du mal, et aurait aimé se racheter, mais c’était bien trop tard pour ça. Alors autant survivre par la force que par le pardon. Pourtant, dans ce face-à-face, lui n’avait aucune force, et elle n’accordait aucun pardon. Abandonné dans cette impasse, il aurait tout fait pour surmonter cette terrible épreuve. Mais il était là, face aux conséquences de ses actes, seul, et désemparé. Dévoré vivant par la peur.

Tout à coup, quelque chose le piqua avec force en pleine fesse gauche. Le mandalorien utilisa la dernière parcelle de puissance qui lui restait pour dégager le couteau de sa gorge. L’impérial, totalement paniqué, lâcha l’homme, qui s’écroula à nouveau. Le jeune cadet au regard livide tâtonna alors son postérieur, et retira le dard maudit. Désormais, lui aussi était véritablement perdu, car dans sa main tremblante se trouvait une dent de rakgoule. Probablement arrachée au cadavre de Bertha. Mais comment avait-elle… ? Sorcière…

 

« Maigre comme tu l’es… il ne devrait rester que deux ou trois minutes avant que ton corps ne se mette à changer. Il aura chaud, il te brûlera, il suera rouge. Ravagé par la migraine et la terreur, ton esprit se brisera, tout comme ta chair, repoussée par les os d’une bête intérieure, une bête de sang, une bête noire, naissant en toi comme un parasite. Pourtant, une infime partie de toi sera toujours consciente, lorsque ses mâchoires se refermeront sur ceux que tu chéris plus que tout au monde… », murmura-t-elle enfin, avec un très léger accent des plus étranges.

 

L’impérial laissa tomber le croc au sol. Sa bouche pendait ouverte, ses yeux pleuraient déjà ses dernières larmes. Son univers entier s’écroulait sous son nez, et tout ce qui sonnait encore dans sa tête, était l’ultime et léger souffle du jeune cathar qu’il avait aidé à mettre à mort, en cette infâme nuit.

 

« Cependant… », poursuivit la silhouette. Les yeux humides du cadet remontèrent vers les siens, ardents comme des jumeaux quasars.

« …L’avant-poste n’est qu’à un bon kilomètre de là. Si tu te dépêches, ils auront quelques vaccins en réserve au centre médical. A supposer que la maladie de la vieille Bertha n’ait pas évolué. Alors un conseil, mon ami… », proposa la sombre rattataki à la voix grave. « …Cours. »

 

L’humain resta figé un instant, hésitant, puis se mit à courir en direction du Centre de Commandement de la Tour. Toutefois, boiteux comme il l’était, la jeune sith se doutait bien qu’il n’irait pas loin. Son sort était scellé par l’indifférence du destin, éternel impartial sur le monde des mortels.

 

Une fois seuls, la jeune femme se pencha près du guerrier à l’armure bleue, allongé sur le ventre. Elle le retourna, et sortit un petit objet équipé d’une longue pointe fine. En insérant l’aiguille dans la hanche du blessé, qui commençait déjà à évacuer son hémoglobine par les pores de son visage, elle déposa le doux revers de ses doigts sur le front rubescent, caressant sa longue chevelure blanche. Perdant de plus en plus l’efficacité de ses yeux d’ivoire, le colosse en armure ferma ses paupières, anéanti par la fatigue. Les derniers mots qui lui parvinrent furent les doux apaisements de sa sauveuse pâle, résonnants dans l’écho d’un vertige.

 

« Reposez-vous... Vous allez vous en sortir… »

 

 

 

 

Quatre heures plus tard, le grand guerrier ouvrit doucement ses yeux sous une lumière astrale. Mille soleils pleurèrent leur clarté au-dessus de sa rétine, un ectoplasme titanesque embrassa sa cornée, et le monde, peu à peu, lui réapparût au ralenti...

Un néon… une tente… un centre médical… une femme… la femme.

 

Elle était assise sur le bout du lit. Patiente comme le temps, douce comme la brise, blafarde comme la neige d’Eshan. Elle attendait son réveil telle la flore attend le printemps, et lorsqu’il remua, elle se tourna vers lui, éclosant un sourire aussi empli de fierté que d’inquiétude.

 

« Ne bouge pas trop. Reste tranquille… Tu as eu de la chance, mon pauvre ami. »

 

Soudain pris d’une panique croissante, une nausée lui retourna l’estomac. La peur se délecta de son esprit comme un cancer. Son cœur s’affola, son mental s’embruma, ses muscles se crispèrent. L’homme tenta de se redresser, mais il fut stoppé par la sith, qui le poussa à rester allongé.

 

« Je… Je devrais être un monstre à l’heure qu’il est… Je suis maudit, excellence… »

 

La rattataki pressa une main chaude et rassurante sur le torse du guerrier. Après quelques petites secondes, il sentit sa puissante pompe ralentir peu à peu vers un rythme normal. Venait-elle… d’utiliser sa magie pour l’apaiser ? Ou était-ce autre chose ?

Elle posa son autre main sur son front. Sa voix, bien que naturellement grave, demeurait douce, apaisante, exotique même, à sa façon de semi-rouler quelques sons :

 

« Calme-toi… Tout va bien, et tout ira bien… Je t’ai administré un vaccin à temps. Ton système immunitaire est assez… remarquable, je dois dire. Il a combattu l’infection avec une unique bravoure, maintenant il doit se reformer. Repose-toi. »

 

« Vaccin… qu… quoi… ? Que… ?... »

 

L’homme mit quelque temps à analyser ce qu’elle venait de lui dire. Figé, la tête redressée, il souffla alors, et reposa son crâne contre l’oreiller. Il jeta ensuite un œil à son entourage.

Ils étaient seuls dans la tente, hormis un droïde médical et une sonde assistante. Son armure, ou ce qu’il en restait, était appuyée près du lit. Le casque de beskar manquait à l’appel. Lui était torse nu, des bandages recouvraient ses bras et ses jambes mâchouillés, et un léger drap en soie suffisait étrangement à conserver sa température corporelle.

La curieuse femme pâle vint presser ses doigts sur les côtés de sa gorge, massa sa peau quelques instants, et fit une moue étrange. Elle les retira ensuite, et prit des notes sur un petit journal de papier. Le blessé continua de scruter les environs, puis il sentit que quelque chose lui serrait la peau, au niveau du visage. Lorsqu’il passa ses doigts sur le côté gauche de sa face, il comprit que l’on avait appliqué de la mechno-suture sur sa grande balafre. Celle qu’il arborait déjà depuis un mois, et qui se prolongeait de sa joue à son front en passant sur son œil. Outré au fond de son âme, il retira la réparation avec ses ongles.

 

« Mais enfin que fais-tu ?... »

 

« Je suis échani. », dit-il. « Je garde fièrement les traces de mes combats. »

 

« Oh… oui. J’avais oublié ce détail de votre culture, en effet. », avoua la sith. « Et, comment as-tu reçu une telle marque ? Ce n’est clairement pas d’origine rakgoule. »

 

Le guerrier sembla alors intrigué… flatté… Qui était donc cette ravissante jeune femme ? Elle semblait si cultivée. Pourquoi s’intéressait-elle tant à lui ? Était-ce simplement pour faire la conversation ? Tentait-elle de le faire s’évader pour son propre bien ? Perdu un instant dans ses pensées, il réémergea quand il vit l’arcade de la rattataki se relever. Elle souhaitait vraiment connaître son histoire ?

 

« Eh bien… », commença-t-il comme le ferait un grand-père au bord de la cheminée, son petit-fils sur ses genoux. « Il y a un mois de ça, je cherchais quelqu’un sur Hoth. Quelqu’un qui avait fait du mal à une personne qui m’était chère… Je l’ai trouvé, j’ai fait ce qui devait être fait… mais en sortant de la grotte où il s’était réfugié, je suis tombé sur un wampa. Il n’y avait pas d’autre issue, et je n’avais pas d’armes. J’ai remporté la victoire grâce à mes poings, et une jolie balafre grâce aux siens. Une belle histoire. », conta le guerrier d’un air nostalgique. Lui-même ne se doutait pas que le combat à mains nues contre des bêtes féroces était de famille.

 

« Je n’en crois pas un mot. », ria la jeune rattataki.

 

L’échani analysa son rire, son visage, ses moindres plis, ses moindres détails. Elle était sincère. S’était-il éloigné de toute compagnie depuis si longtemps qu’il en avait perdu l’habitude ? Avait-il oublié les vertus d’un simple regard passionné ? La chaleureuse présence d’une aimable femme l’avait peut-être trop manqué, depuis son exode...

 

« …Il était petit, pour un adulte. », corrigea-t-il, amusé.

 

« Charmant… », reconnu la rattataki, regardant au-dehors de la tente alors qu’une légère brume naissait. « …J’ai monté un rancor sur Dathomir quand j’avais onze ans. »

 

Le guerrier aux yeux ronds laissa échapper un petit « Oh… », suivi d’un court silence des plus comiques.

La somptueuse femme se laissa à nouveau trahir par son humeur enjouée. Son charmant sourire n’était pourtant pas celui d’un sith, ces créatures cauchemardesques sans humanité ni décence. Les avait-il mal jugés ? Ou était-elle… particulière ? …Un rancor ?... Vraiment ?

En tout cas, lui, allait mieux. La conversation avait apaisé son cœur, son pouls repartait serein, son esprit aussi. Bien plus que depuis des années, sembla-t-il. Si envoutement il y avait, ce n’était pas de la magie noire. Un lien, inattendu mais puissant, venait de se créer entre ces deux êtres. L’échani était conscient de son devoir. Il était conscient que cette femme, cette sith, noble personne de la haute société de l’Empire, venait de lui sauver la vie, contre toute attente, ne demandant nulle rançon ni grâce. Bien peu de gens à ses yeux demeuraient ainsi dans la galaxie. Rares étaient les âmes solidaires qui daignaient se courber pour ramasser les âmes égarées comme lui. Les êtres brisés par le temps et ses remords. Mais il n’avait plus peur désormais. Il n’y avait plus de raison, car sa sauveuse, qui restait à ses côtés, savait monter un rancor.

 

Les deux amis restèrent de longues heures à trancher la nuit de leur alacrité. Une humeur peu présente sur le caillou de mort qu’était cette planète. Lorsqu’enfin l’échani, imbu de kolto, put se lever, ils quittèrent la tente à pas lent, et marchèrent un peu autour de l’avant-poste pour prendre l’air, et permettre à ses muscles de se revigorer.

 

 

 

 

La brume commençait lentement à se dissiper, les premiers battements d’ailes rythmaient le silence assoupi des étoiles, et quelques varactyles accordaient au loin leurs dernières mélopées. Le grand Taris allait bientôt se lever. L’échani et la rattataki prenaient leur temps, vadrouillant dans l’herbe verte impériale. Elle l’aidait à marcher, il lui tenait compagnie : c’était la chose qui lui manquait le plus sur cette planète. Une jeune sith de vingt-deux ans, étudiant les infections rakgoules, à la recherche d’un nouveau remède. Une vie bien trop solitaire pour une aventurière comme elle. Aussi rêveuse, passionnée… bonne. Le grand guerrier ne la percevait que de cette manière. Au fond de lui, il en était convaincu. Si fort qu’il en oubliait même sa conversation.

 

« …Et c’est pour ça que je dois te demander une petite faveur. », lui fit-elle revenir à la raison. « Tes lymphocytes trill et nern krill sont étrangement… naturellement difformes. Leurs récepteurs sont en hyperactivité, et phagocytent à eux seuls les virus sans l’aide des cellules dendritiques. C’est une anomalie remarquable… »

 

Le silence de l’échani au regard arriéré suffit à faire comprendre à la jeune scientifique qu’il n’avait rien compris. Elle fit les yeux doux et tenta de réexpliquer.

 

« Pardon… ton corps se bat incroyablement bien contre les maladies et les virus. »

 

« Hm. C’est normal, je suis un échani, l’amie. », s’imagina l’homme né pour le combat.

 

La rattataki cacha un petit rire, si mignon qu’un bébé chadra-fan n’aurait pu rivaliser.

 

« Non… je t’assure, ce n’est pas ça… Alors voilà : J’aimerais prélever un peu de ton sang pour mes études, et en envoyer à la capitale pour des analyses détaillées. Si ça se trouve, tu es la clé du prochain vaccin rakgoule ! Peut-être même du syndrome de Colu d’ailleurs… »

 

Le guerrier réfléchit quelques instants. Donner de son sang… pour aider l’Empire ? L’idée ne lui plaisait pas vraiment. Mais si c’était pour l’aider elle, pour trouver un vaccin. Il ne pouvait qu’accepter. Non ? Il sourit en coin, et baissa le regard. Puis son visage reprit un air sérieux quand il se rappela le meurtre du petit cathar, et de ces racailles impériales. Sans l’aide de la sith, il serait mort. Mais Bourom ou d’autres généraux pouvaient encore le blâmer pour le massacre. Facile pour un alien de tomber dans ce piège. Il avait encore besoin du soutiens de sa sauveuse.

Comme pour répondre à ses inquiétudes, la rattataki lui fit un clin d’œil :

 

« Vraiment tragique cet accident… On a réellement tout fait pour les aider… On est juste arrivé trop tard. Il faut croire que c’était leur destinée… »

 

Le géant aux cheveux blancs sourit, rassuré. Il n’avait pas non plus oublié les mots du jeune cathar. Le destin… Sceptique, il fit une grimace moqueuse.

 

« Chez moi, le destin, on le forge comme une arme. On le manie comme nos poings, toujours avec plus de fluidité, d’assurance et de force. Je ne peux pas croire que l’on soit esclave d’une histoire écrite, sans avoir une main sur la plume. »

Le guerrier s’arrêta, pensif, et regarda la sith dans les yeux. Muette, elle le fixait attentivement, mais même lui, un échani, ne pouvait lire sur son visage ce qu’elle pensait à cet instant précis. Quelle mystérieuse créature. Puis lui vint un étrange frisson. Pour une raison qui lui était inconnue, l’ambiance vint s’imprégner du doute effrayant. Les secrets interdits de l’univers n’aimaient pas être dérangés. Une courte et légère brise fantomatique fit vibrer la robe de la sith.

« …N’est-ce pas ? », insista-t-il comme un enfant inquiet.

 

« D’après les légendes de ma culture… Le destin est gardé par un animal gigantesque, une ancienne entité spirituelle, du nom d’Olhdjäagnäel. Il connait tout le passé, tout le présent, et tout l’avenir. Mais il l’empêche d’être dévoilé pour maintenir un équilibre sur le monde. Personne ne doit connaitre sa destinée… mais ce n’est pas pour autant qu’elle n’existe pas. J’y ai longtemps cru pendant mon enfance… aujourd’hui, j’en suis moins sûre… Mais il appartient à chacun de choisir ses convictions. Ne penses-tu pas ? »

 

Le guerrier balafré plissa les yeux, encore plus songeur. Il tenta de creuser l’idée un peu plus.

 

« Mais alors… Que se passe-t-il si une destinée est dévoilée ? Si elle échappe au gardien ?... »

 

La belle rattataki sourit à nouveau en clignant lentement de ses sombres paupières.

 

« On appelle cela une prophétie, mon cher ami... », fit-elle remarquer. Son air assez nostalgique, ses yeux rivés sur un passé empli de contes et de légendes, elle esquissa enfin un infime rictus embaumé d’obscurité, et détourna à nouveau le regard. « …et ô quelles tragédies les prophéties impliquent constamment. »

 

 

Alors que l’aube repoussait les derniers soupirs de la nuit dans un ciel ambré, l’échani posa un genou à terre. La sith se retourna, surprise.

 

« Excellence… Vous m’avez sauvé la vie, et je vous suis éternellement redevable. Mon destin, s’il existe, est lié au vôtre à jamais. Ce serait un honneur pour moi que de vous offrir mes veines et mon sang. Ma sueur et mon soutiens. Mon courage et ma protection. Aujourd’hui, pour les cent ans à venir, et sur l’honneur de mes ancêtres, je suis vôtre. Dame…   …euh… », hésita-t-il soudain, bêtement coupé dans sa déclaration.

 

La rattataki écarquilla les yeux comme jamais, et cacha sa petite bouche entrouverte des deux mains.

 

« Oh ! Mille excuses, nous n’avons même pas échangé nos noms ? », s’étonna-t-elle. « Je m’appelle Veckh… et toi ? »

 

L’échani resta le genou à terre, tant que son rituel échani n’était pas terminé. Sa pose, solide malgré ses blessures, était similaire à une demande en mariage, et l’offre qui en découlait n’était pas bien moins importante, à vrai dire. Pourtant c’était son choix, d’une certaine façon, et jamais il n’eut l’occasion de le regretter. Pas même au dernier instant.

 

« Herkaana, excellence… », dit le géant guerrier. « Herkaana… Vadohw Imi. »

 

 

En ce jour, une amitié venait de se forger sous les rouages secrets de leur propre fortune. Une relation basée sur la confiance d’une profonde bonté, dans les yeux de l’un comme de l’autre. Des yeux pourtant si aveugles face aux fleuves du temps. Car nul n’est absolu, bon ou mauvais.

Cependant, ne pas connaitre l'amitié est la pire des infortunes. Car c’est au cœur des pires tempêtes que les meilleurs amis scintillent dans leur rôle comme jamais auparavant, car ils persistent à y naviguer à nos côtés, et bien souvent, contre toute attente, ce sont eux qui y mettent fin. Et ô quelles tragédies attendaient ces deux êtres…

 

 

Le destin. Veine interminable où ruisselle le temps, seul véritable infini. Car l’espace lui-même est limité par le temps. C’est le destin seul qui conduisit les recherches de la jeune rattataki sur Tatooine, quelques mois plus tard, lors de l’éruption rakgoule suivant le crash du Stardream. Ce même destin qui la poussa dans les bras du pirate de sa vie, peu après. C’est grâce au don du jeune échani que quelques années plus tard un cyborg sera sauvé par ses améliorations biologiques.

C’est par l’action de la Force que le destin dépose ses simples jouets, les deus ex machina, dans les mains de ceux qui doivent vivre. Un détonateur dans un égout, un sabre laser dans un sac, un ysalamir sur une épaule, une pierre sous un arbre, un os dans une cage, un caillou sous une dalle, un lézard dans une jungle…

Certains croient en contrôler le cours à l’aide d’un simple cube ou d’un jeu de chiffres, mais une chose est sûre, la Force ne laisse rien au hasard. La Force est juste, et le destin est inéluctable. Tout s’emboite parfaitement, et ne laisse jamais de traces. Le karma n’existe pas, mais le destin si. Je le sais… car j’en suis le gardien. L’avènement de la nouvelle Abeloth est proche. A ses côtés je m’en assurerai, car c’est la volonté du destin. Je suis peut-être Olhdjäagnäel… ?

2019) Olhdjäagnäel.jpg
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