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Ryfs: Rouge

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Lorsque l'on s'endort... le corps se détend, la respiration faiblit, et le rythme cardiaque diminue. Le temps disparaît, le monde disparaît, puis le royaume des rêves ouvre ses portes. Il a beau être discret, destiné à l'oubli ou même invisible, mais ses pouvoirs infinis transcendent le réel, l'imaginable, et peuvent parfois être guidés par la grande Force elle-même. Tel une gargantuesque ville de possibilités, ce monde regorge d'allées, de routes et de ruelles, toutes pleines de secrets.

Et puis, au fond de la ruelle la plus sombre, infectée de rats et de cadavres reposant la tête dans l'urine, la ruelle menant aux égouts contaminés par la peste et exposés aux cris des morts, se trouve la terre du cauchemar. Tel un trou noir elle aspire le moindre petit garçon égaré, et l'avale sans pitié vers un univers obscur, humide et froid, d'où nul ne refait jamais surface. Et ici, tout en bas, le temps existe à nouveau, s'écoulant d'une lenteur atroce. Lorsque le noir semble avoir crevé la vue, que les hurlements restent encrés dans la cervelle, comme marqués au fer, et que le froid semble promettre enfin un soulagement mortel, le voile sombre et mensonger se lève, et le rouge éclate.

Ce même monde noir est aussi la mort, qui cède ensuite à l'enfer enflammé. Et le rêve, cette lumière perchée là-haut, inatteignable, c'est la Force, qui vous a déjà oublié.

 

 

Ainsi, le noir se brisa en éclats au réveil du monstre sith, laissant place au cramoisi puissant d'un monde flou. Un cœur reprend son rythme habituel, un poing se serre, et des paupières ténébreuses se lèvent comme des rideaux pour dévoiler une paire d'iris cinabre.

 

Elle est réveillée.

 

Sa main se projette dans le liquide chauffé et heurte le verre d'une cuve. Un mécanisme réagit, et la substance - non pas du bacta, mais bien une solution amniotique synthétique, couleur d'alizarine - disparaît peu à peu de l'aquarium cylindrique. Le tube à oxygène, dont le bout irrite encore le fond de ses poumons, se rétracte en un éclair, sec, forçant la créature à fixer le plafond tandis que le long serpent de plastique annelé fuit son corps. Dès qu'elle s'en sépare, elle s'écroule au fond de la cuve qui est déjà presque vide.

Puis le cylindre de deux mètres de haut se rétracte dans sa base, et la faible créature nue se recroqueville sur elle-même, son visage caché sous de longs cheveux noirs, désordonnés et humides. Comme une enfant apeurée depuis un trou de serrure, elle scrute les environs à travers sa chevelure. La pièce l’aveugle d’un cardinal dansant avec un métallique sombre. Des consoles éclairées de partout, peu d’écrans cependant, et quelques lits lévitant au-dessus d’un sol de pierre.

 

Un laboratoire médical.

 

Et puis, tout lui revient. La chose se remémore qui elle est, où elle se trouve, et surtout, ce qu’elle doit faire. C’est presque comme si elle s’était absentée trop longtemps de ce monde, comme si ce rêve, n’étant rien de moins que la vie, devait lui revenir lentement. Elle se lève, titube vers le centre de la salle, et peu à peu reprend le contrôle total de ses muscles.

 

Personne ne vient, comme d’habitude. Elle est seule.

 

Un léger courant d’air frais se glisse dans la pièce et vient caresser sa peau rubiconde et rugueuse. L’aération fonctionne, pourtant une chaleur infernale, complétée d’une humidité ridicule règne dans le laboratoire. Même le plafond ne peut retenir quelques larmes.

 

La bête avance, et fait vite face à un long miroir couvert de buée. D’un geste rapide de la main, elle retire l’opacité de son centre et laisse apparaître son reflet tyrannique. Elle semble ne faire qu’un avec le fond de la salle. Sa peau sombre de sang pur se mêle à sa crinière de charbon, le tout épousant presque les motifs muraux, quoi que bien plus linéaires et strictes. Son regard descend au fur et à mesure que la clarté du miroir se propage, le long de son corps nu. Ses yeux se posent enfin sur ses hanches. Une grosse cicatrice était née sur son flanc droit il y a de ça quelques jours. Aujourd’hui, elle n’était plus qu’un stupide souvenir.

 

Son bain amniotique quotidien était plus qu’un simple substitut au bacta ou au kolto, qui eux détruisait ses cellules incroyablement vite. C’était aussi un moyen efficace pour s’endormir. Un monstre comme elle se devait de récupérer la nuit, souvent même pour plusieurs jours d’affilé, mais sans une immersion totale dans ce produit, il lui était presque impossible de fermer l’œil. Né pour offrir des âmes à la Force, son corps le lui refusait.

 

 

Une voix familière sort soudainement d’un haut-parleur. Une voix grave, puissante mais calme, ayant circulé à travers le filtre d’un masque.

 

« Projet 191625, présentez-vous dans la salle -9. »

 

Cette voix, c’est celle de son créateur. Celui qui l’a conçue. Son architecte et son mentor… si une telle chose existait. La seule personne à laquelle elle obéissait, autre qu’à l’Empereur lui-même bien sûr. Le sombre et mystérieux membre du grand Conseil Noir, responsable de la sphère de l’Intelligence et des Renseignements, et bien sûr du Projet…

Dark Jadus.

 

 

Sans attendre, la sith au sang pur se retourne, fait quelques pas presque robotiques, et se positionne à l'intérieur d'une douche carrée. À peine rentrée, les tuyaux se mettent en route et une vingtaine de jets d’eau pure, cristalline mais glaciale, arrosent furieusement le corps sans âme de tous côtés, depuis de petits trous dans les murs en marbre. Un marbre blanc se mélangeant à une obsidienne pourpre en d’étranges spirales et autres formes aléatoires. Après cinq secondes, les vannes se ferment. La sith, tout aussi artificielle que le liquide qu’elle vient de faire disparaître de sa peau andrinople, ne bronche pas et marche alors vers une armoire de fer, à l’autre bout de la pièce. Le bruit qu'elle émet lorsqu'elle s'ouvre est semblable au cri des shyracks de Korriban, planète où elle n'a jamais mis un pied. L'armoire est vide, hormis tout en bas, où se trouve une serviette de soie blanche. Le doux tissu est si léger, si pur, si propre. C'en est presque ironique.

Elle se redresse, extirpe le voile et l'observe à peine quelques secondes, puis fait dos à l'armoire et attache la fine serviette autour de son corps, en diagonale, laissant une épaule à nu, l'autre tenant l'infime poids de l'habit. Elle retire ses longs cheveux sombres et les relâche sur son dos couvert. Ils humidifient le textile et le rendent à certains endroits transparent. En-dessous, ses omoplates craquent. Elle étire sa nuque, puis cette dernière craque aussi. Son corps tout entier semble ne pas avoir bougé depuis des mois... depuis combien de temps était-elle endormie...?

 

Peu importe, son maître attendait.

 

Elle essore les deux petites tresses qui tombent depuis ses tempes, et avance vers l'ascenseur.

 

 

 

 

La machine de fer et d'acier l'accueille dans sa gueule, et referme ses mâchoires latérales lentement, enfermant le fauve à la peau de cerise. La cage quitte le laboratoire à l'étage -16, et monte dans la longue gorge d'un plus gros monstre de métal.

Il fait noir, l'air est sec, et les seuls indications de mouvement depuis l'intérieur de la cabine étroite sont le léger changement de gravité ainsi que de petites lumières blanches qui défilent vers le bas à toute allure, à intervalle régulier.

 

Étage -15. La salle d'entraînement. La pièce où elle avait passé le plus long moment de sa vie à l'état éveillé. Droïdes, bestioles en tout genre, jedi... Ce qui entrait dans l'arène de ce terrain de mort ne revenait jamais à la surface pour raconter ce qu'il y avait vu.

 

La bête ferme les yeux un instant. Elle reste immobile, debout au centre de l'ascenseur bruyant. Elle sait ce qui l'attend aujourd’hui...

 

Étage -14. La salle Resh Zerek, initiales en l'honneur d'une personne importante sans doute... elle n'a jamais su. Une grande salle vide menant à plusieurs couloirs étroits et obscurs, inconnus. Une salle pleine de mystères idiots et un lieu de dialogue récurent entre elle et Jadus. C'est aussi le lieu le plus près de la surface que la sith ait jamais visité.

 

La cage accélère légèrement sa montée, et la sang pur bloque ses propres pensées. Ses questions, ses attentes, sa propre imagination de l'inconnu. Tout ça c'est pour les faibles. Elle n'a pas à réfléchir. Elle est ici pour agir sans discuter, sans avoir d'opinion ou de questions.

 

Étage -13. Tout l'étage est scellé à perpétuité, impossible d'y entrer depuis que le laboratoire spécialisé en maladies et en armes biologiques a connu une faille de sécurité. Depuis l'incident, les projets aussi dangereux sont menés loin de la population, sur des mondes isolés.

 

Quelque chose titille l'orteil de la femme rougeâtre. Un cafard à huit pattes tente de mordiller son ongle à l'aide de ses étranges mandibules verticales. Ses yeux purpurins répugnants et sa carapace infecte font plisser le nez grenat de la sith. Elle soulève son gros orteil, faisant tomber l'insecte sur son dos, puis le dépose sur son ventre exposé, et presse lentement. Un jus jaunâtre, putride et visqueux dégouline de chaque côté, articulation et orifice de la vermine qui continue à agiter désespérément ses membres fins et crochus. Lorsque l'orteil touche le sol de la cage, les seuls mouvements des pattes pataugeant dans une bouillie granulée sont les réflexes d'un cadavre.

 

Étage -12. Les laboratoires Osk, Esk et Aurek. Tous recelant des secrets de l'Empire. Nul n'est aussi important ou secret que le Projet 191625, mais leur isolement et leur secret en font des légendes fantômes. Seuls quelques cinquantaines de personnes, scientifiques, chercheurs et autres spécialistes en robotique y travaillent, jour et nuit.

 

Elle trace un arc de cercle sur le sol avec son orteil souillé. Une marque répugnante se répand et l'ascenseur ralentit. Elle est presque arrivée.

 

Étage -11. Centre des machines, réparations de droïdes et moteurs en tout genre, ainsi que les bases de l'aération pour le long tunnel dans lequel elle vit.

 

C'est probablement d'ici que la vermine est arrivée. La vie trouve toujours un chemin. Mais quel genre de chemin pensait-elle emprunter en descendant dans le pandémonium de l'Empire Sith ? Dans les souterrains de la citadelle de Kaas City ?...

 

Étage -10. Pas vraiment un étage... juste une couche de béton allié à du quadanium. Une porte horizontale, mais de l'épaisseur d'un étage... Une protection sérieuse. La cage d'ascenseur, le seul passage à travers cette couche, peut se faire croquer aisément par les portes isolantes aux dents de phirk, en cas d'urgence...

 

Enfin...

 

Étage -9.

 

La Salle Écarlate.

 

 

 

 

Les portes de l'ascenseur, noires comme de la roche volcanique, s'ouvrent devant les yeux flamboyants de la sang pur, et lui dévoilent le rouge puissant de la grande pièce.

Elle fixe le sol, serre les poings, et avance sans dire un mot dans la chambre, vers la silhouette qui est assise en son centre, et qui l'attend.

 

Tout est rouge. Le sol lisse et réfléchissant comme un miroir, le haut plafond rocailleux et ses étranges stalactites de toutes tailles et de toutes formes, même le petit brouillard qui les dissimule bien mal en se faufilant entre ces larmes de pierre. La salle n'a pas de coins, mais n'est pas ronde pour autant. Tout ce qui demeure d'une autre couleur semble être l'intérieur sombre de l'ascenseur, qui se referme sur des portes extérieures rougeaudes, la silhouette en bure obscure qui l'attend, les cheveux noirâtres de la jeune sith, et sa propre tenue blanche qui crève de contraste avec son environnement et semble y résister. Sa propre peau garance n'est pas affectée par l'éclairage et se fond parfaitement.

Le plus étrange reste les murs, qui semblent contenir la vie, tant il y a d'animation, non pas dans leur structure, mais dans leurs teintes.... Des formes, courbes et plis étranges, créent d'exotiques ombres insolites en mouvement sur leur surface fantomatique. Les multiples nuances de rouge qu'ils produisent dansent comme un brasier rutilant au ralenti, comme des nuages dans une lente tempête de sang, ou une bataille d'esprits emprisonnés derrière ces parois de rubis.

 

« Approche, mon enfant... », fait la vieille silhouette, en ancienne tenue sith ténébreuse, sur son trône vermillon en pierre taillée.

 

La femme congestionnée marche jusqu'aux premières marches incarnadines, puis plie un genoux et garde son regard baissé, ses phalanges tendues reposant sur le sol tiède.

 

« Sais-tu... qui je suis ? », demande le vieillard.

 

Son allure ultime sur ce trône ancien, sa présence centrale dans cette pièce infernale, son regard pâle comme un mort qui a vu les âges défiler... Elle sait très bien qui il est.

 

« Vous êtes mon Empereur. Le grand Dark Vitiate. », lui répond la voix rude et grave de la sang pur.

 

L'homme sous sa capuche est satisfait. Il se penche en avant et examine du regard la création unique qui se trouve devant lui.

Sa posture soumise et prête à mourir à son commandement, ses cheveux aussi sombres que son être, sa silhouette rougeoyante aux formes si parfaites et si brutes, si musclées, tout en restant largement féminine, presque sensuelle, pourtant cachée par un voile blanc ridicule. Un véritable monstre sith.

 

« Jadus dit que tu es prête... », commence-t-il. La sith lève ses yeux ponceau vers lui, mais garde la tête basse. « Tu as passé tes derniers tests avec succès, tu as montré que ta loyauté était sans faille et tu as compris que ton échec n'était jamais tolérable. Tu as dépassé nos espérances à vrai-dire... Et aujourd’hui, Projet 191625... tu es complète. »

 

À ce moment précis, Dark Jadus entre. Sa silhouette froide quitte les portes de l'ascenseur et avance dans le dos de son projet favori. Son masque de métal sans visage cache toute expression, comme toujours.

 

« Je suis née pour satisfaire mon Empereur. », affirme calmement la femme carminée. « Mes réussites voient le jour grâce au génie de votre Excellence et à l'esprit du Seigneur Jadus. Ma mort sera ma seule récompense en cas d'échec, et elle sera un honneur. »

 

« Et modeste, avec ça... Parfait. », glousse presque Tenebrae en se recalant au fond de son fauteuil en pierre sanguine de Korriban.

 

La sith baisse les yeux à nouveau. Derrière elle, sur sa droite, Jadus s'arrête et serre son propre poignet dans son dos. Il annonce fièrement :

 

« Le Projet 191625 est une totale réussite mon Seigneur. Avec elle en nos mains la République perdra cette guerre et sombrera dans l'oubli. Je propose un débarquement dans les soixante-douze heures qui suivent, aux coordonnées prévues. Les jedi récupéreront le paquet eux-mêmes. Je m'en suis occupé personnellement. »

 

L'Empereur jubile en silence et serre les accoudoirs de son trône. Son air fier est si rare.

 

« Ils ne s'attendront à rien... parfait Jadus... parfait. »

 

Ses petits yeux noirs brillent en-dessous de sa capuche. Lorsqu'il quitte le grand sith du regard, il revient sur la petite créature qui garde toujours son genoux à terre. Il semble réfléchir sérieusement.

 

« Projet 191625... Ce n'est pas exactement le nom idéal pour une... padawan... ne crois-tu pas ?... »

 

La sang pur relève à nouveau son visage de feu corrompu.

 

« Ryfs... Oui... Ryfs, me semble plus approprié... Qu'en dis-tu mon enfant ? »

 

« C'est un honneur, maître. », répond la femme sans bouger.

 

« Bien... Jadus, préparez-la. Que le Projet 191625 débute enfin... »

 

Levant son poing, l'Empereur dissout la réunion secrète. Jadus et son petit projet s'inclinent puis font demi-tour. À leur départ, les formes fantomatiques mouvantes des murs s'assombrissent et laissent place à des nuances de cramoisi, de pourpre et de noir.

 

 

 

 

Le grand sith masqué marche désormais avec elle. Légèrement derrière, sur sa gauche, son regard tout comme celui de la sang pur, fixe l'ascenseur droit devant. Leur cadence est rapide.

 

« Rendez-vous dans une heure en salle -7, vous y trouverez votre équipement complet et votre arme. Vous n'aurez à masquer votre apparence qu'après votre départ de la planète. Pour le reste, vous connaissez les détails. Méditez, entre temps. C'est un grand jour pour l'Empire. C'est presque dommage que personne ne le saura. »

 

Il cesse de marcher un instant et laisse passer la petite femme en priorité. Avant qu'elle puisse atteindre les commandes de l'ascenseur, il l'arrête.

 

« Ryfs... »

 

Elle se fige, tourne sa tête de quelques degrés et l'écoute attentivement. Sa voix presque paternelle résonne dans son casque de métal. Son air glacial nie pourtant tout attachement. Sa posture massive et droite mêlant son excitation puissante à ses lourdes responsabilités.

 

« Aucun témoin, aucune suspicion. Si on découvre votre identité, faites ça vite et discrètement. Comme d'habitude. »

« Oui... mon maître. »

2018) Ryfs (Sofia Boutella).jpg
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