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Orultseg: Le Seul Choix

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       Parfois, la folie est la seule issue. Difficile à comprendre, à percevoir, à contrôler, elle peut donner un sens à ce qui n'en a pas toujours. Chez certains, elle apporte le sourire, elle donne un but, et en un instant, elle laisse passer un arc-en-ciel à travers les sombres nuages de la vie.

 

 

Besberra, secteur Cegul, bordure extérieure, -3659 ABY.

 

 

- Partie 1 : Joie -

 

Il est en cet univers, un lieu où chacun peut se sentir chez soi. Un monde utopique que l'on peut appeler "nid", "foyer", "maison". Un endroit magnifique, où la beauté, maîtresse des lieux, a flanqué depuis longtemps son antonyme à la porte, et où le calme, régnant comme un roi, a enterré la guerre sous les racines depuis des générations. Ce lieu peut être n'importe où, mais pour la petite Orultseg, ce lieu, c'était Besberra.

 

 

« Joyeux anniversaire à Orultseg ! »

 

Sous la petite foule d'acclamations, les rires nombreux et la musique festive, Kiarda se fraya un chemin vers son heureuse amie de huit ans. Alors que les grandes personnes commençaient déjà à boire et à papoter bruyamment, la petite fille en robe bleu-nuit offrit son présent avec le plus beau des sourires. Orultseg posa son verre et reçu de sa part une petite pile de lettres en papier, pliées et scellées individuellement d'un petit cœur rose en paille de Joq. La plupart des enfants de la colonie avaient pris le temps de lui écrire quelques mots. Il n'y avait que Kiarda pour proposer une idée pareille. À peine avait-elle reculé qu'Orultseg sautait déjà dans ses bras. Sa meilleure amie savait qu'il en fallait peu pour la contenter, et que l'amour dans ces lettres était bien plus que ce qu'elle pouvait oser demander. Elle la connaissait si bien.

 

Les adultes se mirent vite à chanter sous l'effet des boissons, et un bal fut improvisé à la fin du repas. Orultseg put danser avec tout le monde, même avec Zerelem, un adolescent zabrak dont elle s'était peut-être éprise. C'était du moins ce que Q'polghis et Dyphax clamaient haut et fort pour la taquiner. Lorsque la nuit fut tombée depuis longtemps, et que les chants des hommes comme des oiseaux se transformèrent en petits ronflements, Orultseg resta éveillée pour lire ses lettres. Sa tente fut la seule éclairée dans l'obscurité. Alors qu'elle s’apprêtait à ouvrir sa première lettre, celle de Zerelem, Kiarda entra sans prévenir.

 

« La fête t'a plu ? »

 

« Oh oui ! Merci à toi, merci pour tout ! Je n'aurais jamais pu rêver d'une fête aussi parfaite ! Et... merci aussi pour les lettres, je m’apprêtais à les lire, justement. », dit la petite fille au visage rond et aux yeux d'ambre obscure.

 

Kiarda rampa sur la couette d'Orultseg et s'installa à ses côtés sans demander. D'un geste vif, elle s'empara de la lettre du zabrak, et l'ouvrit en évitant les grands gestes paniqués de sa meilleure amie.

 

« Chère Orul, je te souhaite un joyeux anniversaire, et tout plein de chance. C'est cool d'être timide, et je sens que tu l'es un peu à mon égard. J'espère que je ne t'effraie pas, et peut-être qu'un jour on se parlera un peu plus. Je ne suis pas doué avec les mots alors bonne nuit, et à bientôt peut-être. Ton voisin parmi tant d'autres. Zerelem. »

 

Orultseg rougit et regarda son amie d'un air étrange. Il avait écrit ça ? C'est vrai ?

 

« On dirait qu'il t'aime bien, dis ! Tu me le présenteras un de ces jours, madame la chanceuse... M'en veux pas si j'ajoute un peu de concurrence. », plaisanta Kiarda en la secouant par l'épaule.

 

« Dans tes rêves ! », répondit-elle avant de lui envoyer son coussin dans la joue, avec douceur.

 

 

La nuit fut longue. Kiarda resta une bonne heure à lire à ses côtés, avant d'aller rejoindre sa propre tente. Orultseg ne dormit pas de la nuit. Elle éplucha avec attention chaque lettre. Celle de Kiarda, celle de Dyphax, de Weleend, de Q'polghis, d'Ajjamer, des jumeaux Vykossin, de Toll, Nash, Ulneer, Kipoti, de la bruyante petite Pelunia qui pleurait tout le temps, et même de la mystérieuse et noctivague Nibyljuun, qu'elle était la seule à connaître. En tout elle devait avoir une trentaine de lettres entre les mains, et il n'y avait même pas une quarantaine d'enfants dans la colonie. Quelle belle preuve d'amour dans une communauté.

 

La colonie était décidément un lieu utopique. Un groupement de tentes multicolores au milieu d'une prairie verdoyante qui donnait d'un côté vers la mer ensoleillée, de l'autre vers les collines radieuses. Mais surtout, un contact constant, une fratrie solidaire, et débrouillarde. Certes il y avait certaines règles. Il était coutume que chacun dût se débrouiller pour la nourriture et pour l'eau, mais il y avait bien assez de baies, d'arbres fruitiers ou de ruisseaux habités par des poissons d'argent et des crustacés délices, pour pouvoir se satisfaire aisément et rapidement. Tout le reste, la colonie pouvait se le procurer. Les grandes personnes se chargeaient des tâches compliquées, les enfants, la plupart ayant l’âge d'Orultseg, s'occupaient de l'ambiance éternelle de joie. Quelle chance elle avait, d'avoir été élevée ici, où le monde était paisible.

 

 

- Partie 2 : Peur -

 

Lorsqu'un événement, une nouvelle, ou même une simple pensée bouleverse une personne, fige son cœur l'instant de quelques secondes, remue son estomac comme un ouragan secoue l'océan, et hérisse chaque poil de ses bras et de son dos, en général il vaut mieux commencer à courir, faute de connaître la fin de l'histoire. Dans un cas, elle se termine par la mort, la rupture, la trahison ou l'indifférence. Dans l'autre, il s'agit de la peur, infiniment plus simple et réflexe utile à la survie personnelle.

 

Orultseg avait des amis très chers à ses yeux, et chacun avait une particularité qui le rendait unique dans la colonie. Kiarda était la plus douce, la plus aimable, ainsi que la plus rapide des enfants. Weleend savait chanter, et approchait les animaux sauvages comme peu le pouvaient, pour leur parler et les protéger plus que pour les chasser. Ulneer savait lire dans les pensées, du moins il s'en ventait. Däne, l'ardennienne, grimpait plus vite que tout le monde, et récoltait ainsi les fruits les plus haut-perchés. Toll, lui, … eh bien il était mauvais dans à peu près tout. Mais il savait bien se cacher lors des jeux.

Quant à Dyphax, le twi'lek vert pomme, et Q'polghis, un petit givin amputé d'un bras, leurs facultés aux jeux de cartes attendaient encore d'être testées contre des grandes personnes... mais leur côté espiègle, bien que pas si méchant, les définissaient plus.

Orultseg... était particulière à sa façon.

 

 

Un jour de vent, alors qu'une tempête devait approcher, Orultseg se dépêchait de récolter un dernier panier de snoruuk, près du Pic de la Molaire. Ces champignons étaient parfaits pour une bonne soupe le soir. Elle comptait bien inviter quelques amis dans sa tente d'ailleurs. Concentrée, elle cueillit le plus vite possible.

 

« Tu veux que je t'apprenne à voler ? »

 

La fillette poussa un petit cri aigu, lâcha le champignon qu'elle s'appliquait à cueillir, et tomba sur son panier. Depuis quand parlaient-ils ces fongus ?

 

« Comment ?... », demanda-t-elle.

 

Lorsqu'elle releva la tête, Dyphax se tenait devant elle, une main tendue pour l'aider. Derrière lui, Q'polghis accourait pour le rattraper, agitant son seul bras comme un fou. Elle n'avait pas vu le twi'lek venir, et prit sa main pour se relever.

 

« C'est mon oncle qui m'a appris. Tu vas voir, c'est marrant. Hein Q'polghis ? », assura le garçon en donnant un petit coup de coude à son camarade.

 

« ...Ouais ! Pour sûr !»

 

Orultseg ne comprenait pas... Les enfants comme eux ne savaient pas voler. Et puis d'ailleurs, Dyphax n'avait pas d'oncle. Face à elle, le twi'lek attendait une réponse. Aussi curieuse que naïve, elle accepta.

 

Ils la conduisirent au bord du précipice, qui offrait une vue sur l'océan et sa tempête rageant au loin... très loin. Peu confiante, elle s'avança lentement vers le vide.

 

« Et maintenant ?... »

 

Le twi'lek cessa de murmurer des choses inaudibles et apparemment amusantes au givin, et se rapprocha en silence de la gamine qui regardait en bas. Les bourrasques semblaient vouloir la faire tomber, heurtant son dos à intervalles aléatoires. Le danger ne semblait pas vraiment alerter la petite fille. Dyphax posa une main sur l'épaule d'Orultseg, qui se retourna.

 

« Maintenant... lève les bras. Le reste je m'en occupe... »

 

Elle s'exécuta.

D'un geste vif, le twi'lek saisit alors ses poignets, et avança d'un pas. Les petits pieds de l'enfant décolèrent comme promis, mais l'expérience n'avait rien d'amusant.

Paniquée, alors que ses orteils caressaient la mort, cinquante mètres plus bas sur la plage, Orultseg hurla de terreur. Se débattant comme un animal sauvage, pleurant comme un nouveau-né, elle manqua de tomber avec Dyphax à plusieurs reprises. Mal à l'aise, Q'polghis les abandonna et rentra au camp à toute vitesse.

 

« Repose-moi ! REPOSE-MOI ! Laisse-moi tranquille ! AAAAAAAAH ! AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! AAAAHAHAHGH ! NAAAAAAH ! »

 

Sentant enfin, après plusieurs longues secondes, qu'il perdait le contrôle de la situation et risquait de la tuer, le twi'lek recula. Mais un dernier coup de genou de l'enfant hystérique le heurta au menton, et il tomba en arrière.

Orultseg s'écrasa de tout son poids sur lui, en larmes, et sans même en donner l'ordre à ses muscles, elle leva les poings en l'air au-dessus des yeux ronds de son ami.

 

 

Beaucoup, lorsqu'ils voient un insecte effrayant, hurlent et partent en courant. C'est ce que la peur estime logique comme réponse. Le sentiment d'être en danger, justifié ou non, pousse la victime à échapper à la menace, comme un rat bark fuirait un nexu.

Orultseg était terrifiée. Un ami, avec qui elle partageait tant d'affection, venait de jouer avec sa vie. Elle aurait dû lui en vouloir. Elle ne le pouvait pas. Alors, plutôt que de fuir le danger, comme elle l'aurait bien souhaité à vrai dire, elle se mit à l'attaquer. Frappant, encore et encore, de toutes ses forces le jeune twi'lek au sol, elle hurla. Pas avec rage, mais bien toujours de terreur. Comme une enfant arachnophobe qu'on forcerait physiquement à écraser une mygale, son plus grand souhait était de sortir de ce cauchemar. De laisser son ami tranquille, de rejoindre Kiarda et les autres.

Elle ne se releva qu'une fois le twi'lek inconscient et défiguré, et le ramena au camp, avant que la tempête ne l'emporte.

 

 

- Partie 3 : Colère -

 

Il y a un proverbe, très probablement inventé sur Besberra et dont nulle autre civilisation ne connaît l’existence, qui dit : "Laisse quelqu'un te voler un rêve, et il aura le contrôle de tes cauchemars." C'est une vision assez honnête, qui aide le peuple de la colonie à dépasser leurs limites et leur interdit de baisser les bras. Le plus souvent ce "quelqu'un" représentait un obstacle plus qu'une personne. Un arbre trop haut, une pêche défavorable, un renard plus rapide. Le danger de ce proverbe est de le retourner, comme Orultseg le fit un jour.

 

"Si quelqu'un a le contrôle de tes cauchemars, c'est qu'il est en train de te voler un rêve..."

 

 

Orultseg était éveillée depuis une bonne heure, au beau milieu de la nuit. Besberra n'ayant pas de lunes, ses nuits étaient plus sombres que l'âme de la plupart des sith. Sa tente était la seule lueur sur la prairie noire. Serrant ses coudes dans ses mains moites, mordillant ses lèvres et tiltant d'une paupière sans s'en rendre compte, la jeune enfant se laissait dévorer lentement par le plus ingrat des démons. La jalousie.

 

Dans son esprit endormi, elle venait d'apprendre que Sanaborr, un weequay, le meilleur ami de Zerelem, avait épousé son amour zabrak. La totalité de la colonie avait assisté aux célébrations, et étaient heureux pour le nouveau couple. Dans le rêve, Orultseg avait le cœur brisé, et personne ne semblait le remarquer. Ce qui était fait était fait. Elle ne pouvait rien y changer, et devait l'accepter.

 

Lorsqu'elle s'était réveillée, cette profonde tristesse avait disparue. Oh non, elle n'était pas triste d'avoir perdu Zerelem... elle était furieuse contre Sanaborr.

Pendant de longues heures, elle ne pensa qu'à lui. Pas à elle, pas à Zerelem. Lui. Cette personne, à qui elle n'avait presque jamais parlé auparavant, un jeune weequay tout à fait normal et fort probablement sympathique, était devenu pour elle le diable incarné. Une chose, qui devait mourir, et lui laisser la place. Un ennemi à combattre dans une bataille apocalyptique, guidée par une simple, tragique et incontournable loi de la nature. Lui, ou elle.

Cette colère qui manipulait ses moindres mouvements brusques et incontrôlés, jouant avec elle comme un marionnettiste, se changeait peu à peu en haine profonde. Sans réelle raison, un besoin de vengeance, comme un poison, s'empara d'elle et la transforma en monstre. Elle frappa du poing sur le sol, et fit déferler ses talons sur sa couette, encore et encore. La tension dans son crâne gonfla sa tête, sa température corporelle grimpa et, à bout, elle lâcha un hurlement strident. Un joli cri, long et aigu, comme celui d'une gamine capricieuse.

 

L'idée qu'elle venait probablement de réveiller la colonie entière la sidéra. Elle n'avait pas fait exprès... Elle ne voulait voir personne débouler en panique chez elle. Elle ne voulait pas être vue comme ça. Auparavant elle était Orultseg la joyeuse, c'est tout. Elle ne voulait pas être perçue comme une mauvaise personne. Pas aux yeux de ses amis. Ni pour Kiarda, ni pour les autres. Après ce qu'elle venait de faire à Dyphax...

Elle retourna donc sous sa couverture, rapidement, et fit semblant de dormir, au cas où l'on viendrait la voir.

 

Mais après de longues minutes d'attente... personne ne vint. La tempête les avait-elle tous fatigués ? Avait-elle seulement crié ? La nuit, les choses simples sont parfois confuses après le passage du temps. Orultseg se calma, et tenta de retrouver le sommeil, ce qu'elle fit en moins de trois minutes.

Certains sentiments sont exagérés, parfois partiellement incompris, chez les enfants. Elle put oublier son problème avec un peu de temps. Si cela s'avérait être la décision de Zerelem un jour, que pouvait-elle bien y faire ?

 

 

Le lendemain, Orultseg, aussi décoiffée qu'un wookiee est poilu, se leva, bailla un grand coup, et ouvrit la fermeture de sa tente. D'abord aveuglée par la puissante lumière du jour, elle remarqua vite la foule qui se tenait dehors, lui tournant le dos. Très peu murmuraient, les autres restaient silencieux.

Lorsqu'elle se fraya un chemin à travers la population, Orultseg vit ce qui tenait éveillé le camp. Une trace de sang au sol, une longue tache rouge dans l'herbe, qui pointait vers les montagnes. Pendant la nuit, Sanaborr avait été tué, et emporté par une des bêtes sauvages de la planète. Une mère ours l'avait attaqué pour défendre son bébé, qui n'avait pas survécu à la riposte de la colonie et qui allait servir de repas pour les plus proches du défunt. Une vie contre une autre...

 

Orultseg couvrit ses yeux face au spectacle, et se réfugia dans les bras de Kiarda et de Dyphax, qui lui avait déjà complètement récupéré. La petite enfant de huit ans repensa à son rêve. Pour qui pleurait-elle en ce moment même ? Pour le weequay, ou pour l'ourson ? La communauté avait sa réponse. Orultseg en avait une autre...

 

Toute cette colère qu'elle venait d'amasser durant la nuit, toute cette haine... tout ça était encore là. Invisible mais mortelle, telle un fantôme, cette colère ne s'était pas éteinte avec son ennemi, même supposé. Qu'il fut son rival pour de vrai ou seulement dans un rêve qu'elle avait elle-même imaginé, cela ne changeait rien. Elle avait souffert. Et ça n'allait jamais changer. Les conséquences de ses actes étaient réelles ; que ses actes le soient ou non importait peu. Telle était sa logique secrète.

 

 

- Partie 4 : Tristesse -

 

Le malheur est un tusk-cat en chasse. Discret, silencieux mais puissant, il attend dans l'herbe le moment idéal pour bondir sur sa proie. Lorsqu'elle lui tourne le dos, lorsqu'elle est occupée à autre chose, où que lui est assez près, il suffit d'un saut pour que le puissant félin ait ses redoutables crocs autour du cou de sa victime, déjà condamnée depuis longtemps.

On ne sait jamais quand un tusk-cat est sur le point d'attaquer. On ne le devine que lorsque c'est bien trop tard. Ça n'est pas de la faute de la proie, ni même du prédateur. C'est la cruauté du hasard, ainsi que des lois de la nature et de l'univers... peut-être du destin si on y croit.

Ce qui va suivre n'est pas très différent, car à la fin de cette partie, après un tragique accident que nul n'aurait pu prévoir, Orultseg, huit ans, enfant de Besberra, perdra tout ce qu'elle a jamais aimé.

 

 

Le coup de feu d'un vieux blaster rouillé rugit dans les oreilles d'Orultseg, et l'instant d'après, ses amis alignés à ses côtés se mirent à courir.

 

« Partez ! », lança Q'polghis en baissant l'arme qu'il tenait de son seul bras.

 

La course avait commencé, et Orultseg avait loupé le départ. Elle démarra au quart de tour et tenta de rejoindre les autres, qui la devançaient de quelques mètres.

Le soleil était radieux ce jour-ci. Kiarda et les autres avaient décidé que c'était l'après-midi parfait pour courir dans la basse prairie, à l'Est. La piste était une longue ligne droite jusqu'à un puits en pierre, où on avait placé une couronne en herbes tressées pour le vainqueur. Sur le chemin, aucun obstacle : c'était uniquement un jeu de vitesse, d'endurance, et de volonté.

 

« Elle va vous rattraper les gars ! », cria Toll en riant, se faisant doubler par Orultseg. Toll était souvent le dernier dans ce jeu. Il fit une pause en la voyant dépasser Kipoti loin devant lui. « Vas-y Orultseg ! Continue sans moi ! », l'encouragea-t-il, déjà victime d'une crampe.

 

Quelque temps plus tard et quelques mètres plus loin, la vivace enfant dépassa Weleend, Phiboj, Däne, bien d'autres, puis approcha Dyphax.

 

« T'es pas censé me battre ! T'as de plus petites jambes ! », râla le twi'lek en tentant d'accélérer. Il se fit dépasser, lui aussi. « Non. Non. Non ! Non !! », souffla-t-il sans pour autant abandonner, ce qui fait sourire Orultseg à pleines dents. La victoire était presque sienne ! Plus que Kiarda, qui était encore en tête.

 

« Tu me battra pas, darling ! », chanta son amie en l'entendant arriver comme une folle derrière elle. « Pas aujourd'hui en tout cas ! »

 

De tels mots n'étaient qu'un courant d'air sur les braises de sa motivation. Orultseg y était presque. Elle la voulait sa couronne ! Plus que quelques mètres...

 

Malheureusement, sa concentration étant focalisée sur l'objectif, l'enfant en oublia ses pieds. Elle heurta de ses orteils nus une minuscule butte, qui la fit changer de trajectoire. En une seconde à peine, sa course dévia vers une pente sur le côté de la piste prévue. Sans arrêter de courir, elle tenta uniquement de ne pas tomber, l'inclinaison était trop forte pour tenter quoi que ce soit d'autre. Orultseg poussa de petits cris de détresse, tenta de ralentir, mais sa voie était claire, son destin était tracé, et lorsque ses petits yeux quittèrent enfin ses pieds, sa tête rencontra un arbre.

 

 

Malheureux. Pour la joyeuse petite Orultseg, quelqu'un de malheureux était simplement quelqu'un qui n'avait pas trouvé une bonne façon d'être heureux. Qui était mal heureux. Quelqu'un de mal installé demeure installé quoi qu'il en soit. Il suffisait donc juste de trouver la bonne pose, le bon regard, et on retrouvait la joie.

Lorsqu'elle se réveilla du choc, de longues minutes plus tard, Orultseg ne fut pas mal heureuse. Elle fut dévastée.

 

Sous ses fesses, l'herbe tendre et verte qu'elle connaissait depuis toujours n'était que cendres volcaniques et sable noir. Ses vêtements, autrefois soyeux et légers, s'étaient transformés en loque grise, et le ciel n'était même pas visible derrière les obscurs nuages de poussière. Son sang, sombre et épais, s'échappait de son front, et lui coulait sur l’œil droit. Lorsqu'elle appela ses amis à l'aide... personne ne répondit.

Même après de multiples tentatives, après avoir crié puis pleuré leur nom à tous... Orultseg était seule.

 

Et puis, surgi de nulle part, un vieux souvenir traversa son esprit endommagé. Peut-être plus flou encore, un flash, une impression, une idée...

La terrible vision d'une enfant, âgée d'à peine quelques années, abandonnée par ses parents sur une planète désolée, seule et livrée à elle-même, parce qu'elle était probablement différente... dans la tête...

 

Ses amis... Son monde... Étaient-ils seulement... réels ?

 

 

- Partie 5 : Folie -

 

Les jedi et les sith aiment dire que la peur mène à la colère, que la colère mène à la haine et que la haine mène à la souffrance. Mais avant de connaître la peur, il faut vivre, il faut aimer : il faut tout simplement de la joie. Puis vient la peur, qui, stimulée chez Orultseg, agit comme une colère contre Dyphax. La colère se changea en haine contre Sanaborr. Et enfin, le monde devint souffrance. Tel est supposé être le chemin du côté obscur. Mais à la fin de son chemin, il restait un dernier pas pour la jeune fille de Besberra.

 

Parfois, la folie est la seule issue. Difficile à comprendre, à percevoir, à contrôler, elle peut donner un sens à ce qui n'en a pas toujours. Chez certains, elle apporte le sourire, elle donne un but, et en un instant, elle laisse passer un arc-en-ciel à travers les sombres nuages de la vie.

 

 

Orultseg rejetait l'idée qu'elle venait de voir. Ses ongles, incrustés de terre et de sang, sa peau desséchée, sa coiffure sauvageonne, tout cela ne pouvait être réel. Ses parents ne l'avaient pas abandonnée ici. Quel genre de monstre ferait cela ? Non, elle venait de la colonie, et c'était tout. Peut-être qu'un volcan était entré en éruption pendant qu'elle était inconsciente. Était-elle la dernière en vie ? Tout se mélangeait dans sa tête. Le monde commençait à tourner un peu trop vite. De plus en plus vite, avec elle au centre, qui se tenait le crâne, fermant ses yeux et bouchant ses oreilles.

Kiarda... Weleend... Zerelem... Kipoti... Dyphax... N'importe qui ? Personne ?!

 

Tremblant de tout son corps, la jeune fille se recroquevilla sur elle-même, nauséeuse. Sa tête, comme possédée, tournait sèchement dans diverses directions aléatoires, alors que ses yeux regardaient ailleurs. Puis une force étrange, invisible, émanant de son esprit brisé, la domina. Comme si on la frappait en pleine figure, de tous les angles, Orultseg se releva, figée, et se balança comme un arbre harassé par un ouragan, les pieds enracinés dans le sol.

Qui était-elle ? Où était-elle ? Qui connaissait-elle ? Où était le rêve, et où se trouvait le réel ?

Pitié...

Des larmes ruisselèrent sur ses joues, se mêlant au sang de sa blessure. Ses pleurs serrèrent ses poings comme seule la haine pouvait le faire. Un frisson lui glaça les vertèbres comme la peur le fait si bien. Un rire s'échappa peu à peu de sa petite bouche tremblotante, se mélangeant à des cris étranges. Toutes émotions lui vinrent, et saturèrent ses pensées. Et tout accéléra. La rotation de son monde autour d'elle, le vertige, les coups invisibles, les ressentis.

Au secours...

 

Orultseg se figea à nouveau. Il ne lui restait plus qu'un seul choix. Elle ne pouvait pas y penser longtemps dans cet état, mais elle en était certaine. C'était la meilleure chose à faire. La seule chose. La bonne chose.

Avec courage et force, elle brisa les chaînes que son esprit infligeait sur son corps, et courut, aussi vite qu'elle le pouvait, tête en avant, droit vers le vieil arbre mort.

 

 

Le choc, aussi douloureux et violent qu'il fut, ne la fit pas dormir, mais la propulsa à nouveau en arrière, droit vers le sol. Elle n'ouvrit ses yeux que lorsque son corps, léger et propre, heurta la douce herbe de la prairie de Besberra comme une plume sur de la mousse.

Au-dessus de ses yeux, le ciel bleu et les oiseaux l'accueillaient à nouveau. Elle put enfin entendre le doux ronron de la plage au Sud. Sentir la respiration de la nature sur sa peau, et l'haleine des fleurs au bout de son petit nez.

 

« Orultseg ! », cria Kiarda en se précipitant du haut de la pente.

 

La jeune fille accourut et glissa sur l'herbe pour arriver aux côtés de son amie, encore allongée dans l'herbe. Lorsqu'elle se rapprocha, Orultseg se leva et la prit dans ses bras, si fort.

 

« Woh... Est-ce que ça va ? Tu as un vilain bleu sur le front... »

 

« J'ai eu si peur, Kiarda... Si peur... J'ai cru que je vous avais tous perdus... », pleurnicha Orultseg à son oreille, serrant davantage la nuque chaude et rassurante.

 

 

Elle avait fait le bon choix. Le seul choix. Tout était rentré dans l'ordre à présent. Plus une question ne dérangea la jeune enfant pour de longs mois, jusqu'à l'arrivée, un beau jour, d'un étrange faucon d'acier, portant fièrement une bannière rouge. Mais avant cela, Orultseg vécu heureuse et joyeuse chaque jour. Elle put raconter des histoires passionnantes la nuit avec Kiarda, jouer à cache-cache de longues heures avec Toll, échanger quelques doux regards timides avec Zerelem, et même jouer aux cartes aux côtés de Dyphax. Tout ceci ne pouvait que prouver une chose. Au fond de son cœur, sentant chaque battement d'amour, elle ne savait désormais plus qu'une chose.

 

Tout ceci ne pouvait qu'être réel...

 

N'est-ce pas.... ?

2018 Orultseg enfance (original agnes cecile).jpg
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