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Löptr: Une Braise dans un Glacier

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Ce soir-là, les milles lumières de la Lune des Contrebandiers éclairaient l'espace comme une balise perdue dans la galaxie. Une soirée très spéciale se déroulait depuis déjà deux bonnes heures : le bal du Jour de Vie avait lieu sur les deux péniches volantes de la Promenade, le grand Casino célébrait l'occasion en offrant des boissons alcoolisées à prix ridicules, et toutes les cantinas restaient ouvertes jusqu'au lendemain. Toutes sauf une.

 

Le Jour de Vie. Ce jour où les commerces prospéraient, les vieux amis se retrouvaient, et où même les détenus avaient droit à un repas plus "correct" que d'habitude. On célébrait cette tradition wookiee dans toute la galaxie, mais l'Empire, excepté la grande majorité de son peuple, refusait d'y prendre goût. Le jour de l'année où tous les hommes buvaient autant qu'ils s'amusaient, et où toutes les femmes jouaient avec leurs enfants. Toutes sauf une.

 

Une fête vieille de pas loin de 1500 siècles, c'était quelque chose. Une journée où l'on offrait des cadeaux, décorait les rues et les appartements et participait à des batailles de boules de neige. Des arbres, holographiques ou non, coloraient les ruelles lugubres et les palais de luxe. Les ouvriers de Coruscant à Tatooine ne travaillaient pas ou rentraient plus tôt chez eux. Même les élites de la République y prenaient du plaisir. Toutes sauf une.

 

Couchée sur le dos, sur le comptoir de la grande salle de la Braise, Löptr fixait le plafond depuis déjà quarante bonnes minutes, les mains sur le ventre, écoutant le bruit au dehors. La cantina était restée fermée toute la journée, et comptait bien le rester toute la nuit... pas le meilleur endroit pour célébrer le Jour de Vie et en sortir vivant de toute façon. Bien que toutes armes étaient confisquées dans cette cantina mixte - c'est à dire un lieu de "paix momentanée" pour les impériaux et les républicains - les bagarres, les égorgements à la bouteille cassée et les fourchettes dans l’œil étaient choses fréquentes. C'était plus l'endroit idéal pour espionner l'ennemi assis sur la table d'à côté, ou pour faire de la contrebande entre factions... tout en buvant un verre.

 

Löptr ne fermait pas les yeux. Elle ne faisait que fixer un même point sur le plafond, entendant la musique au loin sans écouter les paroles. Elle portait comme à son étrange habitude son armure de guerre. Elle était plutôt confortable pour une armure, un poids ordinaire, une couche de mousse entre le métal et la peau, des reflets scintillants. Elle ne l'enlevait que rarement, pour des occasions spéciales ou des invitations, et bien sûr pour dormir, se laver, etc... Elle n'avait pas de valeur particulière ou personnelle à ses yeux. Elle avait eu plusieurs armures et tenues de combat auparavant, mais celle-ci était la plus agréable à porter.

 

BOUM !

 

Et voilà les premiers feux d'artifices... génial. Vous l'aurez deviné, la mirialan n'aimait pas les fêtes.

Elle remua lentement sur le comptoir comme quelqu'un sortant d'un coma, ouvrit la bouche au ralenti, et laissa tomber son bras droit du bar. Un petit et long cylindre de verre s'échappa de sa main et alla danser sur le sol près de son bouchon métallique.

 

Quelques minutes plus tard, la soldat se leva enfin. Scrutant la salle comme si elle cherchant un intru, elle s'éloigna du bar et se dirigea vers les escaliers. La Braise était silencieuse de l'intérieur, mais les cris sourds et les notes de musique atténuées au dehors envahissaient la mirialan. Montant lourdement, pas à pas, les escaliers Ouest, la soldat de maintenant 37 ans s'aidait du mur pour avancer. S'appuyant sur la table de casino, elle vacillait encore un peu avant d'atteindre la porte. Arrivée devant sa chambre, Löptr cogna la porte automatique, souvent coincée, qui s'ouvrit. Elle alla s'asseoir sur le bout de son lit, secoua la tête de droite à gauche, et posa son regard amoché par la fatigue sur le mur à sa gauche.

Zora...

La mirialan qui avait détruit sa vie quand elle avait 12 ans. Désormais son cadavre cryogénisé dans de la carbonite décorait le mur de sa chambre. Löptr baissa la tête, ferma les yeux, et repensa à son enfance.

 

Balmorra. Une terre où nul enfant ne devrait naître en temps de guerre. C'est sous les feux de l'Empire qu'elle était venue au monde. A sa venue, ses parents s'étaient enfin décidés de quitter cet enfer pour un lieu plus sûr. La famille s'était donc réfugiée sur Chandrila, mais dut déménager à maintes reprises dans la capitale, puis dans les villes voisines. Quand enfin son père trouva un poste dans l'armée de la République, la famille put s'installer. Deux ans plus tard, lorsque Löptr approchait de ses 7 ans, le paternel prit un obus sur Aldérande. Pas de funérailles, mais bien des pleurs. Cela changea la mère, qui se mit à boire, à crier et à pleurer. Puis vint les premiers jours de collège... et puis, Zora.

 

Löptr releva la tête d'un bond et rugit en sautant vers le bloc de carbonite. En un éclair, elle sortit le couteau attaché à sa botte et le planta dans le nombril de carbone. Elle fusilla de ses yeux écarlates son ennemie jurée, haletant comme un animal sauvage, bouche grande ouverte, puis déposa lentement son front contre le bloc froid.

Dire que cette schutta ne l'avait même pas reconnue à l'armée. C'était pour ça qu'elle s'était engagée. Pour la retrouver, lui faire payer. Et puis avec le temps, une fois sa vengeance assouvie d'un bon tir de canon bien placé, elle avait décidé de rester. Oui, tuer pour vivre c'était pas si mal. Ça payait bien, ça défoulait, ... ça apaisait...

 

Un léger courant d'air pénètre dans la chambre, trouble la tranquillité des rideaux, et vient caresser les biceps de la pauvre mirialan qui frémit comme une mésange découvrant la neige pour la toute première fois. Une des fenêtres était restée ouverte. Randa... imbécile ! Des années de travail à la Braise et elle oubliait encore ces petites choses agaçantes. Tant pis. Löptr ne bougea pas. Elle resta là, empoignant le couteau d'or et d'argent, fixant la carbonite brute.

 

L'ex-Major de la République se décida enfin à extraire la lame nagai du ventre fossilisé, et la laissa s'échouer sur le sol. Une longue perturbation métallique fit écho dans les couloirs de la cantina, puis un silence pesant repris. L'on entendait même plus les feux d'artifices, les cris et les rires au dehors. Juste un long, long silence...

 

Encore un long moment mort s'écoula, puis la femme redressa la tête, un air affichant un semblant de détermination sur le visage. Elle quitta la pièce, descendit les longues marches, parcourut la grande salle, traversa le casino inférieur, et entra enfin sur la terrasse Est. Là, elle retira ses bottes en coinçant ses talons sous ses orteils, leva une jambe, et monta en équilibre sur la barrière séparant la terrasse du reste de Nar Shaddaa.

 

 

La nuit était belle, le ciel était pourpre, la Promenade colorée comme jamais, et la ville entière pleine de joie. Les nuages posaient à la vue de tous, entre la cité riante et l'espace muet. Là-haut, Nal Hutta la géante couvrait sa petite lune comme une sœur couche sa cadette. Toutes choses étaient bien à leur place. Toutes sauf une.

 

 

Face au spectacle et dos au passé, Löptr ferma les yeux, ouvrit les bras, et se laissa basculer vers l'infini.

2017 Löptr mort.jpg
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