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Émile: Cendres Froides

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Seule dans la nuit, sur la capitale tempétueuse des sith, l’immense silhouette sombre demeura dans un silence des plus noirs. Accroupi sur la branche d’un grand arbre parmi les grands arbres, au sein de la planète jungle, l’homme fixa le sol en contrebas, alors qu’une bataille d’émotions faisait rage en lui, sans parvenir à faire flancher son regard, déjà mort et perdu depuis longtemps. Rien qu’un tas de cendres, quelques roches carbonisées, et une aura de mort, un sentiment de vide, une grande absence dans un autre temps et dans son cœur, reposaient dix mètres plus bas. Avait-il pu empêcher ce tragique désastre ? Hélas, non… le destin en avait décidé autrement, et l’empêchait de changer ce sinistre passé, gravé à jamais dans le temps.

 

 

Jamais cet endroit ne lui avait paru aussi vide, aussi silencieux, plein de lumières mortes, enterrées et remplacées par un monstre cadavérique et cendré, détruit au plus profond. Exactement comme lui…

 

Tombant vers le sol, l’homme à la capuche loqueteuse atterrit lourdement, puis avança vers le tas de poussière carbonisée ; un tas de souvenirs pour lui. Avant les flammes, ici se trouvaient ses livres, ses jouets, son lit, ses murs, sa maison, sa famille… Ici, il était né.

 

Au fur et à mesure qu’il avançait sur ce petit monticule de sable gris et froid, des restes de certains petits objets, la plupart métalliques, émergeant partiellement, attirèrent son regard nostalgique. Il reconnut chacun d’entre eux : de la hache de son père aux broches de sa mère, du fourneau de cuisine aux dalles des escaliers, de son propre vieux canif rouillé à la minuscule chaussure calcinée de sa sœur. Mais au moindre contact, tout se désintégrait et partait s’envoler telle une triste neige sombre dans le vent pourtant absent. Était-il vraiment tout ce qui restait ?

 

 

Tout à coup, un subtil reflet de lumière attira son regard, un peu plus loin dans les cendres. Un objet, petit mais d’une valeur à présent gigantesque, l’appelait.

 

Mille trésors pour lui ne pouvaient remplacer ce joyau ; ses yeux de diamant scintillaient, sa peau de hydenock allié à du xonolite avait résisté aux déflagrations, sa petite forme cylindrique et compacte l’avait protégé de l’effondrement. Avec précaution, l’ermite silencieux s’avança encore un peu, retira sa capuche, s’accroupit, et ramassa la petite statue. Soufflant dessus sans même bouger ses lèvres, il fit disparaître la poudre sans couleur et sans vie de sa surface quasi intacte.

 

Appliquant son pouce sur le petit totem qu’il tenait entre les mains, il le caressa quelques instants. Bien des souvenirs lui revinrent en tête à la vue de cette petite figure représentant un lézard, grimpant sur lui-même en spirale pour garder une forme unie et solide. Avant l’incident, ce n’était qu’un petit totem qui était censé les surveiller, lui et sa sœur, depuis le rebord de la cheminée. Ne mesurant que quelques centimètres seulement, il tenait aisément dans une main refermée. Détails et formes se mêlaient de façon élégante sur son corps simple et flexible, et les deux minuscules diamants purs qui lui servaient d'yeux hypnotisaient son porteur dans un calme rassurant. On aurait presque pu le voir bouger par moments. Nul objet en ce lieu funèbre ne pouvait lui apporter un si réel sourire. Nulle chose ne restait en ce monde qui en valait davantage la peine... Était-ce bien vrai cependant ?...

 

 

Jonchant le tas calciné de la ruine, la terre et la boue, les cendres lui avaient présenté bien des objets, certains demeurant ensevelis mais dont il parvenait tout de même à ressentir la présence, rien qu’en fermant les yeux. Et il manquait quelque chose…

 

Tout ce dont il se souvenait et qui devait avoir survécu au feu affamé était là, en plus ou moins bon état… presque tout ; chaque chose était restée ici et avait résisté ou bien avait péri sous le brasier cruel… sauf une paire de sabres laser. Alors il comprit. Il n'était plus seul. Miraculeusement, quelqu'un n'avait pas péri sous les décombres ardents et avait emporté les deux seules armes de la maison. En se remémorant qu'ils étaient constamment cachés sous une dalle secrète, dans la chambre de ses parents, il sût qu'ils ne pouvaient pas avoir été volés. Rien que lui, sa sœur et ses parents savaient où les trouver. Alors il dut savoir, il dut découvrir qui était encore en vie et qui était resté sous les cendres depuis si longtemps. Il se releva soudainement, et une onde de choc provoquée par ses propres midichloriens bouscula la terre, fit voler la boue dans les airs, et figea chaque parcelle de cendre, chaque objet brûlé, chaque souvenir, dans l'espace qui l'entourait.

 

Parcourant des yeux le nuage éparpillé, l'homme tourna sur lui-même, observant les détails comme un enfant dans un musée des horreurs. On aurait presque cru à une danse macabre, à la façon dont il ouvrait ses bras en se perdant dans l'amas figé dans le temps. Un peu plus loin, il s'arrêta net, et avait trouvé le funèbre spectacle qu'il cherchait. Rien qu'un ensemble d'os, brisés, brûlés, mêlés au reste, bloqués dans l'air mais tournant sur eux-mêmes au ralenti.

 

Tout doucement, parmi eux, l'avant d'un crâne dont il ne restait que les contours des yeux et du nez se dévoila. Où auparavant se trouvait un visage, celui de sa mère, ne restait plus qu'un souvenir morbide et froid, dévoré par la chaleur extrême et enterré parmi les restes éparpillés et poudreux de son père. Un seul corps restait absent. Jusqu'ici, tout portait à croire que l'orphelin qu'il était depuis bien longtemps déjà, n'était pas seul pour autant. Où qu'elle fut à ce jour, il se devait de la retrouver, de la serrer dans ses bras plus fort que jamais jadis, et de la protéger car elle non plus n'était plus seule. Une mission sacrée était à présent gravée dans son cœur noir, et rien ne pouvait plus l'en détourner ! Rien en ce monde ne l'empêcherait de revoir sa grande sœur adorée ! Sa …

 

Et à ce moment précis, il comprit. Toutes ses pensées s'arrêtèrent lorsqu'il se rendit compte que la perturbation qu'il avait ressenti sur cette planète il y a bien des années, ce hurlement de fureur intense, cette terrible rage noire... ne pouvait qu'émaner d'elle.

 

À cet instant, les mots de la bête aux yeux bleus, concernant cette perturbation, lui revinrent en tête et brisèrent son rêve de la revoir.

 

Juste quelques minutes s'écoulèrent dans un silencieux ouragan de peine, et l'homme ne bougea pas, ne respira pas, et serra son poing autour du petit totem. Alors son cœur repris, son ambition plus grande que jamais, sa volonté devint inébranlable. Majestueusement, la petite galaxie cendrée en lévitation commença soudainement à tournoyer sur elle-même de plus en plus vite pour enfin s'envoler dans les airs et disparaître dans le lointain, alors que l'ermite remit sa capuche et retourna vers la jungle. Approcher sa tendre sœur, veiller sur elle, la protéger de toutes les horreurs de l'univers... depuis l'ombre : voilà quelle devint sa nouvelle mission, et il allait tout faire pour la mener à bien, tant qu'il restait dans le secret et le silence. Il le pouvait désormais, car il n'était plus ce qu'il s'était voué lui-même à demeurer... Seul.

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